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2022 et après ?

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Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 446, jan.-fev. 2022

Voici le premier numéro de l’année 2022, à l’image de ce que nous essayons de faire depuis 46 ans : contribuer à une meilleure compréhension de la dynamique du monde contemporain et à explorer ses futurs possibles, afin que nos lecteurs puissent être pleinement impliqués dans les choix et les actions d’un avenir qui reste très largement à construire. En premier lieu, j’adresse donc à nos lectrices et à nos lecteurs mes vœux les meilleurs pour cette année nouvelle, et forme pour eux l’espoir, en paraphrasant Gandhi, qu’ils pourront être les acteurs des changements qu’ils souhaitent voir advenir dans le monde.

Le premier article de ce numéro porte sur un sujet très actuel, qui n’est pas vraiment nouveau mais qui risque d’être durable, celui des difficultés de recrutement en France. Celles-ci semblent paradoxales alors que le chômage, malgré sa récente décrue, reste à un niveau élevé en comparaison de celui de pays voisins. Pourquoi donc l’appariement des offres et des demandes d’emploi y est-il si problématique ? Sans doute pour plusieurs raisons parmi lesquelles figurent les piètres performances du système français d’éducation et de formation, son inadéquation aux besoins des entreprises et d’une société en profonde mutation, mais aussi de l’évolution de la valeur travail…

Nous avons, récemment encore, publié plusieurs articles sur l’évolution des valeurs en Europe occidentale qui sont très éclairants (n° 443). Incidemment, ils pointaient, tout en le nuançant, le risque d’une « montée du populisme autoritaire » qui, nos lecteurs le verront, reste toutefois bien différent à l’Ouest comparé à l’Est. En témoigne ici l’article sur les valeurs des Russes (qui sera bientôt suivi d’autres contributions sur les autres pays d’Europe de l’Est) ; cet article (p. 37) montre en effet combien, en Russie, la xénophobie, le nationalisme, l’individualisme et le maintien de l’ordre restent des valeurs très puissantes qui expliquent (peut-être sous réserve que les conditions de vie de la population ne se dégradent pas trop) le maintien du régime autoritaire de Vladimir Poutine et l’acceptation de la répression des voix dissidentes.

Un article est d’ailleurs à cet égard très révélateur : celui sur la « géopolitique de la mer » (p. 59), plus particulièrement centré sur la région arctique, un espace stratégique très largement contrôlé par, outre les pays nordiques, la Russie. Il est saisissant de constater combien cet espace aux marges de l’Europe se trouve convoité par les grandes puissances mais ignoré de l’Union européenne en raison des carences qui sont les siennes en matière de politique extérieure. Comme l’écrit Jean-François Drevet à propos des migrations internationales, sans même évoquer ici leur instrumentalisation par la Biélorussie contre la Pologne, l’Europe occidentale apparaît bien faible en matière de politique internationale, du fait sans doute des intérêts divergents des États membres de l’Union, voire de leurs difficultés internes spécifiques…

À ce propos et s’agissant de la France, Arnaud Teyssier en dresse un portrait particulièrement alarmiste. Il estime en effet que « la force du modèle politique français résultait du fait que l’État s’appuyait sur deux piliers, l’un d’essence politique, l’autre de nature administrative », chacun ayant sa vertu propre et inscrivant son action dans des temporalités différentes. Or, écrit-il, le démantèlement, depuis 30 ans, de la fonction publique qui incarnait l’intérêt général, soumise à la double critique de son omniprésence et de son impuissance, conduit à laisser le pays en proie à une absence de vision à long terme et de repères, à être esclave des soubresauts de l’opinion, des aléas électoraux et d’errements politiques. « La démocratie, en France, traverse aujourd’hui une crise profonde », écrit l’auteur, qui est « d’abord une crise de l’État lui-même et de sa fonction dans la société ». Son texte est engagé ; il prend la défense d’une administration publique qu’il voudrait garante de l’intérêt collectif et qu’il estime asservie à un pouvoir politique lui-même désarmé dans un monde « devenu apparemment chaotique et immaîtrisable ». Formons l’espoir que cette tribune entraîne un débat sur l’avenir des institutions publiques et de la démocratie qui inspire aux Français, depuis plus de 10 ans, selon le CEVIPOF [1], un sentiment de lassitude, de morosité et de défiance.

Mais tout n’est pas si sombre sur notre planète et dans ce numéro de Futuribles, dans le prolongement de notre série sur la mer, Bernard Kalaora, dans un beau texte philosophique et poétique, nous invite à reconsidérer les relations entre l’homme et la nature, et, en nous tournant vers la mer, à accepter « d’aller vers l’inconnu, l’incertain et l’invisible », à perdre nos repères et à retrouver une certaine forme d’ivresse (une libre interprétation de ma part) sans doute propice à la découverte de nouveaux horizons peut-être plus heureux.



[1] Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po). URL : https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html. Consulté le 7 décembre 2021.

#Cadre institutionnel #emploi #Océans #Russie
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