Appuyées par une intense campagne médiatique lors de la préparation de la conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (COP21), les questions climatiques ont été mises sur le devant de la scène, reléguant dans un lointain arrière-plan les thématiques traditionnelles des politiques de l’environnement. Ce livre vient donc à point nommé pour rééquilibrer les termes du débat.
L’équation posée par l’auteur tient en peu de mots : comment le « primat » climatique peut-il se justifier alors que les performances de l’Union européenne (UE), et de la France en particulier, en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sont meilleures que celles d’autres ensembles géopolitiques et qu’elles vont en s’améliorant ?
Comment expliquer que d’autres questions brûlantes, comme la perte de biodiversité ou la pollution de l’air, et j’ajouterais pour ma part l’accumulation des déchets et la contamination par les produits chimiques, ne fassent plus partie de l’agenda politique ?
Parmi les engagements de l’UE (le paquet « énergie-climat »), citons : une réduction de 20 % des émissions de GES par rapport à 1990, une diminution de 20 % de la consommation d’énergie primaire, une hausse de la part des énergies renouvelables (ENR) de 20 % dans la consommation finale. Celui relatif aux émissions a été atteint bien avant l’objectif cible. Les efforts supplémentaires, unilatéraux, pour 2020 ne concerneraient que moins de 1 % du total mondial des GES.
En revanche, les ambitions de l’UE pour lutter contre la pollution atmosphérique restent modestes : les seuils de dangerosité fixés par les directives européennes sont presque toujours supérieurs à ceux recommandés par l’Organisation mondiale de la santé ! Pourtant, la pollution de l’air en Europe (due aux particules en suspension et à l’ozone) entraîne chaque année plus de 440 000 décès prématurés, 23 milliards d’euros de coûts directs pour la santé, l’agriculture et les bâtiments… Guillaume Sainteny n’hésite pas à souligner la distorsion entre les avantages de court terme liés à la lutte contre la pollution atmosphérique pour la population affectée et les hypothétiques résultats d’une politique d’atténuation des émissions de GES.
Considéré nationalement, le primat climatique écrasant toutes les autres politiques ne paraît pas plus justifiable. La France, bonne élève de la classe climatique puisqu’elle n’est responsable que de 1 % des émissions de GES pour un produit intérieur brut comptant pour 4 % au niveau mondial, n’accorde qu’une importance toute relative à la pollution de l’air : ainsi seule une ville sur 17 atteint la valeur-guide de la réglementation européenne sur les particules en suspension. Et elle n’est pas plus attentive à sa biodiversité car elle « figure au second rang des pays ayant perdu le plus grand nombre d’espèces animales et végétales connues depuis le début du siècle […] seulement 28 % des espèces et 22 % des sites désignés au titre de la directive européenne “Habitats faune flore” sont en état de conservation favorable ».
Enfin, ajoute l’auteur, le respect des réglementations européennes sur l’eau pose de sérieuses questions : la pollution de l’eau par les nitrates, par exemple, ne cesse d’être une pomme de discorde avec Bruxelles et, globalement, la qualité des eaux superficielles est loin d’être optimale.
Au total, l’opinion publique est beaucoup plus préoccupée par ces problèmes classiques que par celui relatif à l’effet de serre, sans doute parce qu’elle y est sensible dans sa vie quotidienne. Guillaume Sainteny enfonce un peu plus le clou lorsqu’il souligne les inconvénients environnementaux des politiques de lutte contre le changement climatique, à l’instar des atteintes aux paysages par l’implantation d’éoliennes, y compris en zone littorale au mépris de la lettre et de l’esprit de la loi éponyme. Et puis, nous rappelle l’auteur « l’électricité française étant déjà décarbonée à 90 %, un surplus de production à base d’énergie renouvelable (ENR) ne saurait améliorer de façon notable le bilan carbone du mix électrique ».
Le recours aux ENR dans la politique climatique française tournée vers l’atténuation a, en outre, conduit à « faire financer par les ménages, y compris les plus modestes, les producteurs d’ENR touchant des revenus garantis, assimilables à des rentes ». Selon l’auteur, les ENR pâtissent d’un coût important, d’un bilan carbone médiocre et entraînent des effets d’aubaine sans constituer de filières industrielles, tout en renchérissant les factures d’électricité.
Parmi d’autres exemples fortement argumentés mis en avant par Guillaume Sainteny, je retiens celui qui concerne la construction de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) prévue par le Grenelle de l’environnement en 2010. Le schéma national des infrastructures de transports (SNIT) qui en découle contribuera à l’artificialisation de 450 à 600 kilomètres carrés d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, pour un coût à la tonne de CO2 évité exorbitant, de l’ordre de 850 euros ! Outre les inconvénients sur les paysages et la biodiversité, ce type d’équipement génère un déstockage du carbone contenu dans les sols des forêts et prairies, et supprime la fonction « fixatrice » de carbone (un hectare de sol forestier stocke 500 tonnes de CO2 et un hectare de forêt fixe 15 tonnes de CO2 par an).
À cet égard, le secteur agricole, deuxième secteur économique émetteur de GES, fait figure de parent pauvre dans la lutte contre le changement climatique, avec des émissions de méthane qui ne diminuent pas.
Au fond, Guillaume Sainteny, avec une imperturbable logique, pointe le déséquilibre flagrant entre atténuation et adaptation dans la politique française. Certes, le changement climatique est en cours et il convient de s’y adapter sans tarder au nom du principe de prévention des risques naturels, mais « l’adaptation ne peut, encore moins que l’atténuation, se résumer à une politique adjacente à d’autres ». On peut en effet songer, comme lui, que c’est par une politique climatique volontariste, s’immisçant dans toutes les politiques sectorielles (aménagement du territoire, urbanisme, logement, agriculture, transports) que des progrès seraient notables à moindre coût.
En ce qui concerne les pays en développement, l’auteur plaide pour des approches d’adaptation centrées sur les écosystèmes, de façon à préserver leur capital naturel dont le maintien permettrait la résilience d’un développement durable. À propos du débat Nord-Sud, l’auteur ajoute que la France n’a pas à rougir de son passé qui n’est pas un passif : « du fait de la décarbonisation progressive de son économie, elle est historiquement comptable [d’un] moindre stock de GES émis que la plupart des pays développés ».
La priorité pour les pays en développement ou les émergents comme l’Inde ou la Chine, ajoute-t-il, ne serait-elle pas d’éliminer ou de réduire leurs subventions aux énergies fossiles en les reconvertissant dans des mesures d’adaptation-atténuation ?
Des recommandations à foison pour clore cet ouvrage de référence qui replace « l’église au milieu du village ».