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Le pari européen

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 390, nov. 2012

Alors que la plupart des pays européens s’enlisent dans la crise, les atermoiements qu’a suscités la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance me semblent d’un autre âge. En août 2011, Jacques Delors nous alertait déjà : « Ouvrons les yeux, s’exclamait-il, l’euro et l’Europe sont au bord du gouffre. Et pour ne pas tomber, le choix me paraît simple : soit les États membres acceptent la coopération économique renforcée […], soit ils transfèrent des pouvoirs supplémentaires à l’Union [1]. » Depuis lors, nous n’avons guère progressé. Les gouvernements s’épuisent dans de vaines tentatives, l’Union semble en panne et son déclin sur la scène internationale, inéluctable.

Inéluctable, en effet, comme le déclin de ses États membres si rien n’est entrepris pour changer radicalement le cours des choses, et si j’emprunte à Louis Armand et Michel Drancourt le titre de cet éditorial [2], ce n’est point par hasard. « Pour sortir de ce marasme des mentalités, écrivaient-ils en 1968, il faut que l’Europe prenne nettement conscience des impératifs de l’époque et qu’elle accepte une novation dans son organisation […]. Le temps n’est plus, pour l’Europe, de se demander si son rôle peut encore s’inscrire dans le cadre de ses traditions ou s’il doit se définir dans un cadre nouveau. Elle doit s’employer à construire ce cadre nouveau […] et établir des liens fédéraux [3]. »

Il serait assurément injuste de dire que rien n’a été accompli au cours de ces 45 dernières années pour renforcer l’Union qui, en outre, s’est considérablement élargie, notamment pour accueillir les pays d’Europe centrale. Mais si l’économie et la société ont connu des métamorphoses profondes, les institutions publiques nationales elles-mêmes n’ont guère évolué et leurs dirigeants, bien souvent, ne semblent pas avoir réellement pris conscience du changement qui s’est opéré. Révélatrices sont à cet égard les tentatives de certains gouvernements d’imposer leur volonté à des entreprises dont la stratégie se doit d’être mondiale, plutôt que de susciter la création de nouvelles entreprises.

Il est donc urgent de réagir et peut-être de saisir au vol la proposition avancée par la chancelière allemande Angela Merkel qui, lors de sa conférence de presse du 17 septembre dernier, affirmait : « C’est absolument le bon moment pour plus de coopération politique en Europe […]. Nous ne pourrons défendre nos points de vue dans le monde que si nous sommes unis dans l’Union européenne, et […] que si nous réussissons économiquement […]. L’Europe est pour nous plus qu’une union monétaire, ou une communauté économique, c’est aussi une communauté de valeurs. » Certains n’ont certes pas manqué de souligner que si elle se faisait ainsi le chantre d’une Europe fédérale, la chancelière devait aussi tenir compte d’une opinion publique allemande peu portée à la suivre et de la réticence de nombreux pays de l’Union vis-à-vis d’un tel projet [4].

Cependant, il est intéressant de noter que, presque simultanément, était lancée une initiative, « Ich will Europa », promue par une association de 11 fondations allemandes en faveur d’une Europe forte qui ne serait point réduite à une seule union économique et monétaire, mais serait porteuse d’un vrai projet de société [5]. Et, presque en même temps, le chef de la diplomatie allemande, Guido Westerwelle, présentait à Berlin des propositions élaborées par 11 ministres européens des Affaires étrangères, appelant à sortir de la crise par le haut en instaurant une union politique. Ce rapport [6] est né d’une double inquiétude, soulignait-il. Tout d’abord, « la crise de la dette s’est transformée en une crise de confiance en l’Europe ». De plus, « sur les autres continents, c’est la confiance en soi qui progresse. En Europe, ce sont les doutes […]. Sans volonté d’affirmation, l’Europe sera frappée d’une réputation de continent vieux et vieillissant, glissant dans l’ombre des nouvelles puissances de notre époque [7]. »

Dans le même sens, Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt lancent un appel, Debout l’Europe ! [8], qui souligne fort à propos que « seule une Europe fédérale peut répondre à la crise ». « Prenez Arcelor Mittal, qui vient d’annoncer la fermeture des hauts fourneaux à Florange et qui fait de même en Belgique et en Espagne. Tant que la France, la Belgique, l’Espagne, seront seules face à lui, elles seront impuissantes », affirme Daniel Cohn-Bendit. « Dans une Europe fédérale, nous pourrions réfléchir ensemble : de quelle sidérurgie avons-nous besoin en Europe ? Avec quels investissements privés ? Quel fonds social mobiliser pour sécuriser les salariés [9] ? » Avec ce plaidoyer, les deux auteurs espèrent entraîner dans la même épopée tous les pays de l’Union, mais là réside peut-être une question essentielle.

Est-il vraiment réaliste d’imaginer créer d’entrée de jeu une Europe fédérale à 25 ou à 27 ? J’ai de sérieux doutes en la matière. En revanche, le président François Hollande n’aurait-il pas aujourd’hui une opportunité extraordinaire de s’imposer comme un des principaux fondateurs d’une Europe politique si, d’aventure, il avait l’audace de prendre au mot nos amis allemands pour jeter les bases d’une Europe fédérale, peut-être simplement à cinq ou sept, qui serait suffisamment puissante pour entraîner dans son sillon les autres États membres ? Transformer ainsi le souhaitable en possible serait la plus belle preuve de ce que la politique peut faire.

Paris, 9 octobre 2012



[1]. Entretien avec Jacques Delors publié conjointement le 18 août 2011 par Le Soir et Le Temps.

[2]. Armand Louis et Drancourt Michel, Le Pari européen, Paris : Fayard, 1968.

[3]. Ibidem, p. 118.

[4]. Voir notamment, Scalfari Eugenio, « L’Europa federale è una chimera [L’Europe fédérale est une chimère] », La Repubblica, 31 août 2012.

[6]. Rapport élaboré dans le cadre d’un « groupe informel de réflexion sur l’avenir de l’Europe », septembre 2012. URL : http://www.auswaertiges-amt.de/cae/servlet/contentblob/626324/publicationFile/171785/120918-Abschlussbericht-Zukunftsgruppe-Deutsch.pdf. Consulté le 9 octobre 2012.

[7]. Voir « Berlin pour une Europe plus intégrée, plus efficace et plus démocratique », Missions allemandes en France, 19 septembre 2012. URL : http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich/fr/__pr/nq/2012-09/2012-09-19-westerwelle-europa-pm.html. Consulté le 9 octobre 2012.

[8]. Cohn-Bendit Daniel et Verhofstadt Guy, Debout l’Europe ! Arles / Bruxelles : Actes Sud / André Versaille éditeur, octobre 2012. Voir aussi mon éditorial « Debout l’Europe ! », Futuribles, n° 364, juin 2010.

[9]. Conférence de presse de D. Cohn-Bendit et G. Verhofstadt, Paris : Maison de l’Europe, 5 octobre 2012.

#France #Gouvernance #Union européenne
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