Ce numéro de mars-avril de Futuribles est beaucoup plus volumineux que d’ordinaire. Espérons que son épaisseur ne nuira pas à l’attention qu’il mérite de la part de nos lecteurs. Ce choix est dicté par l’importance particulière des deux sujets qui y sont traités : celui de la solidarité entre les générations, et celui de l’impact social et politique des religions.
Le premier thème s’impose en raison de la crise majeure du système français de protection sociale, qui ne découle pas uniquement de la crise économique mais résulte aussi de la conjonction du vieillissement démographique (et des prévisions alarmantes concernant l’avenir du financement des retraites, sans même parler de celui de l’assurance maladie et de la dépendance) et d’un sous-emploi particulièrement endémique en France [1].
La question n’est pas nouvelle mais l’analyse des transferts publics et privés entre générations (en termes de revenus mais aussi de patrimoine) l’éclaire de manière particulièrement percutante. Car ces transferts apparaissent de plus en plus asymétriques et soulèvent donc le problème des inégalités entre générations. Au-delà même de cet aspect – et prenant acte du caractère très insuffisant des réformes purement paramétriques qui sont introduites régulièrement -, l’analyse que nous livrent Luc Arrondel et André Masson est particulièrement éclairante, montrant notamment quelles sont les réformes fondamentales, possibles et nécessaires, ainsi que les choix idéologiques qu’elles impliquent et que l’on ne saurait indéfiniment éluder.
En décidant de publier aussi, dans ce numéro, un important dossier sur l’impact social et politique des religions, nous avons conscience d’aborder un sujet particulièrement polémique, surtout dans la conjoncture actuelle, compte tenu de l’activisme de certains islamistes radicaux et des débats de société dans lesquels s’invitent des mouvements sociaux animés par des croyances religieuses.
Fidèle à l’esprit de la prospective, prenant résolument de la distance par rapport aux questions sur lesquelles se cristallisent des débats enflammés, ce dossier entend rendre compte de manière sereine et approfondie de l’évolution des croyances et des pratiques religieuses dans le monde, et examiner comment celles-ci influencent les changements de valeurs et de comportements.
Ainsi, après un rappel des évolutions passées et une analyse des tendances d’avenir des grandes religions dans le monde, se trouve ici plus précisément expliquée l’influence du facteur religieux sur l’évolution des systèmes de valeurs des Européens, par exemple à l’aune de l’importance accordée à la famille, aux comportements sociaux, au libéralisme… ; sont aussi précisées les similitudes et différences entre Européens en fonction de leur identité religieuse. Cette analyse est complétée par un article exposant comment cohabitent, parfois se confondent ou, au contraire, se distinguent, en Europe, les États et les Églises.
Une attention particulière est en outre portée à la présence de populations de religion musulmane en Europe et aux différentes formes d’expression, tant publiques que privées, de l’islam dans les pays européens. Au-delà de l’Europe, on aborde évidemment dans ce dossier le rôle politique que prennent, dans le prolongement des « printemps arabes », les différents courants se réclamant de l’islam dans les pays du monde arabe.
Ainsi, les auteurs de ce dossier spécial s’attachent-ils à expliquer quels sont les différents courants religieux et comment s’intègrent, dans une Europe sécularisée, les différentes populations en fonction de leur appartenance religieuse, en quoi lesdites appartenances ou, à l’inverse, le rejet des religions influencent la dynamique de nos sociétés, éventuellement suscitent des clivages, voire des conflits que d’aucuns qualifient de culturels, d’autres de sociologiques ou politiques, sinon de « civilisationnels [2] » .
Nous assistons à un certain retour du religieux dans les débats actuels sur l’avenir de nos sociétés. Nous assistons également à des phénomènes évidents de radicalisation religieuse, et sommes conscients du poids semble-t-il croissant des intégrismes et des fondamentalismes, de différentes obédiences et en différents pays. Ceux-ci font aussi l’objet d’un article fort éclairant qui les remet en perspective et en explore les développements possibles.
Faire abstraction de ces phénomènes ou en surestimer l’importance ne serait pas faire preuve de la vigilance et du discernement auxquels nous invite la prospective. Refusant les amalgames trompeurs, les auteurs de ce dossier spécial sur l’impact social et politique des religions s’attachent à nous éclairer sur les tendances à l’œuvre, les incertitudes majeures, voire l’impact possible des appartenances et des courants religieux sur l’évolution de nos sociétés, y compris celles qui – comme en France – sont de longue date attachées aux valeurs de laïcité.
Ce dossier spécial sur l’influence des mouvements religieux doit beaucoup à Pierre Bréchon, qui en a assuré la direction scientifique et que je tiens ici à remercier.
[1]. Voir mes éditoriaux « Du contrat entre générations » et « Quelle solidarité demain ? », Futuribles, respectivement n° 389, octobre 2012, et n° 391, décembre 2012.
[2]. Voir le numéro spécial « Dialogue ou conflits de civilisations ? », Futuribles, n° 332, juillet-août 2007 ; ainsi que Delcroix Geoffrey et Jouvenel Hugues (de), Le Choc des identités ? Cultures, civilisations et conflits de demain / The Clash of Identities? Cultures, Civilizations and Tomorrow’s Conflicts, Paris : Futuribles (Perspectives), 2008, en libre accès sur notre site Internet http://www.futuribles.com/fr/base/bibliographie/notice/le-choc-des-identites-cultures-civilisations-et-co/