Le stockage de l’électricité est un enjeu majeur pour la transition énergétique. En effet, il est indispensable de stocker l’électricité d’une part sur un site de production par les filières renouvelables, celles-ci étant des sources intermittentes, pour pouvoir l’utiliser aux heures de pointe, et d’autre part dans un véhicule électrique pour alimenter son moteur. Le stockage électrochimique de l’électricité dans des batteries est, depuis plus d’un siècle, la voie la plus couramment utilisée dans les véhicules ; il est aussi expérimenté sur des installations stationnaires pour équiper des panneaux solaires photovoltaïques ou des fermes éoliennes (le stockage sous forme d’hydrogène pour alimenter une pile à combustible est une alternative possible mais peu développée).
L’expansion prévue du parc de voitures électriques a lancé une véritable course aux batteries électriques, la batterie lithium-ion étant actuellement le cheval de bataille des constructeurs : Renault équipe son récent modèle de Zoé avec une batterie qui lui donne une autonomie de 400 kilomètres tandis que le modèle S de Tesla affiche une autonomie de 500 kilomètres. Si on se limite aux batteries électrochimiques, où l’électricité est stockée sous forme chimique (le courant provoque des réactions à l’anode et à la cathode de la batterie), les constructeurs ont trois objectifs : 1) augmenter la densité énergétique d’une batterie (elle est au maximum de 200 wattheures par kilogramme [Wh/kg] actuellement pour la batterie lithium-ion) ; 2) augmenter sa durée de vie en supportant un plus grand nombre de cycles de charge-décharge (700 à 1 500 cycles au maximum pour les batteries lithium-ion selon les conditions d’utilisation) ; 3) diminuer le prix (celui du kilowattheure stockable de la batterie lithium-ion a chuté de 1 000 dollars US en 2010 à environ 200 dollars US en 2017). Les constructeurs doivent également tenir compte des conditions de sécurité (éviter un incendie). Ces considérations s’appliquent également aux batteries des smartphones et des ordinateurs. La disponibilité, à long terme, des matériaux constituant les électrodes (notamment le lithium et le cobalt), leur poids et leur coût sont trois paramètres clefs sur lesquels il faut jouer.
Les progrès ont été relativement lents sur ces trois fronts. D’autres filières sont envisagées : remplacer le lithium (le plus léger des métaux) par un autre métal, le magnésium, le sodium et le zinc notamment. Les performances sont intéressantes mais ces batteries n’ont souvent pas dépassé le stade du laboratoire (le nombre de cycles est un point critique). Toutefois, en France, le « Réseau sur le stockage électrochimique des batteries », dont font partie le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) et des industriels, a mis au point une batterie sodium-ion qui pourrait supporter au minimum 2 000 cycles. Sa durée serait donc supérieure à celle de son homologue au lithium, sa densité énergétique serait inférieure mais elle a l’avantage de pouvoir être chargée rapidement et d’éviter d’utiliser le lithium, un métal qui peut devenir « critique » (mais le sodium est plus lourd) ; elle est en voie d’industrialisation. Des couples lithium-air (on produit et on dissocie des oxydes de lithium dans la batterie) ou zinc-air sont également testés, la densité énergétique du premier serait trois à quatre fois celle de la batterie lithium-ion et donnerait à une voiture électrique une autonomie comparable à celle de l’essence ; là encore les travaux sont au stade de la recherche-développement.
Le couple lithium-soufre, étudié lui aussi de longue date, semble avoir réalisé une percée importante, annoncée récemment par une start-up britannique, Oxis Energy, qui a ouvert une petite usine pilote à Abingdon. L’idée de base de cette filière est de remplacer, dans la cathode de la batterie lithium-ion classique, les métaux (en général un alliage de cobalt, de nickel et de manganèse) qui piègent les ions lithium (ceux-ci transitent de l’anode en graphite vers la cathode à travers un électrolyte) par du soufre, qui est léger et peu cher (on évite d’utiliser le cobalt, un métal critique). On allège ainsi ipso facto la batterie dont la densité énergétique, selon Oxis Energy, serait le double de celle de la batterie lithium-ion.
Toutefois, cette batterie ne peut supporter qu’une centaine de cycles, ce qui est un sérieux handicap ; la société destinerait son usage à l’équipement de drones et d’engins sous-marins, voire à des appareils portés par des militaires (elle est testée par Airbus sur le drone à très haute altitude Zephir). Le soufre a l’inconvénient sérieux d’être un mauvais conducteur de l’électricité, autrement dit, il ne facilite pas le transfert des électrons aux ions lithium dans la cathode. Une double parade a été trouvée, elle consiste d’une part à immerger le soufre dans du graphite qui est un excellent conducteur, et d’autre part à enrober la cathode dans un film de polymère qui évite la migration de polysulfures qui empoisonneraient l’anode. Par ailleurs en remplaçant le graphite par des feuilles de graphène (un matériau constitué d’une monocouche d’atomes de carbone), des chercheurs de l’université de Xiamen, en Chine, ont montré que les batteries supportaient 500 cycles de charge-décharge. Les plus optimistes estiment que cette nouvelle batterie, allégée, permettrait d’atteindre une densité énergétique de 500 Wh/kg. Si sa durabilité était augmentée, elle serait un concurrent sérieux pour la batterie lithium-ion. La filière sodium-soufre est une autre option actuellement testée pour des batteries stationnaires sur des sites de centrales solaires ou éoliennes (notamment par EDF à l’île de La Réunion) ; elle a l’inconvénient de fonctionner à haute température (300 °C).
La durée de vie des batteries lithium-ion est souvent limitée par la formation de dendrites sur l’anode (un filament métallique qui se forme à sa surface) qui, en grandissant, peuvent atteindre la cathode et provoquer un court-circuit qui l’endommage et diminue sa durée de vie, voire déclenche un incendie. Des chercheurs de l’Institut polytechnique Rensselaer aux États-Unis ont trouvé une parade consistant à envoyer par intermittence des impulsions électriques qui, en chauffant les dendrites, les fondent et les détruisent ; ils ont démontré l’efficacité de cette technique sur une batterie lithium-soufre, il reste à l’appliquer à d’autres batteries.
Le perfectionnement des batteries et la mise au point de nouvelles filières (sans lithium) constituent un enjeu industriel majeur. S’il est prématuré d’annoncer que des batteries sodium-ion et lithium-soufre sont des ruptures, les progrès récents montrent que les jeux ne sont pas encore faits dans les laboratoires.
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Sources : Mathieu Carole, « La course aux batteries électriques. Quelles ambitions pour l’Europe ? », Études de l’IFRI (Institut français de relations internationales), juillet 2017 (analysé sur le site de Futuribles, URL : https://www.futuribles.com/fr/bibliographie/notice/la-course-aux-batteries-electriques-quelles-ambiti/) ; « Lithium-ion Battery Packs Now $209 per kwh, will Fall to $100 by 2025: Bloomberg Analysis », Green Car Reports, 11 décembre 2017. URL : https://www.greencarreports.com/news/1114245_lithium-ion-battery-packs-now-209-per-kwh-will-fall-to-100-by-2025-bloomberg-analysis ; « Une start-up pour des batteries de plus en plus rapides », communiqué de presse CNRS, 23 novembre 2017. URL : http://www2.cnrs.fr/presse/communique/5323.htm?theme1=5 ; Service Robert F., « Lithium-Sulfur Batteries Poised for Leap », Science, vol. 359, n° 6380, 9 mars 2018, p. 1080-1081 ; Mukhopadhyay Amartya et Jangid Manoj K., « Li Metal Battery, Heal Thyself », Science, vol. 359, n° 6383, 30 mars 2018, p. 1463 ; Li Lu et alii, « Self-heating – Induced Healing of Lithium Dendrites », Science, vol. 359, n° 6383, 30 mars 2018, p. 1513-1516. URL consultés le 5 juin 2018.