« Une entreprise sur cinq est condamnée à disparaître si elle ne fait rien [pour se mettre à l’ère du numérique] d’ici trois ans » affirme la dernière étude du Lab de BpiFrance. Ce laboratoire d’idées a interrogé 1 814 dirigeants de PME (petites et moyennes entreprises) et ETI (entreprises de taille intermédiaire) en France [1]. Il constate qu’un dirigeant sur cinq croit que « le temps de la transformation digitale n’est toujours pas venu » pour son entreprise ; 10 % pensent même que l’impact du numérique sera « minime » sur leur activité d’ici cinq ans, 29 % qualifient cet impact de « moyen ». La prise de conscience est plus forte dans les services et le commerce, elle reste minoritaire dans les transports, le BTP (bâtiment-travaux publics) et l’industrie. Seules 27 % des PME et ETI déclarent s’être « fortement ou très fortement » engagées dans des actions pour leur adaptation au numérique, près du tiers n’a toujours rien fait en la matière.
Globalement, l’écrasante majorité des dirigeants français, 87 %, ne voit pas dans le numérique une priorité stratégique ; d’ailleurs 45 % reconnaissent ne pas « s’être forgé une vision de la transformation digitale » de leur entreprise – 57 % dans les transports, 59 % dans le BTP -, d’autant qu’une écrasante majorité d’entre eux reconnaît n’avoir pas mis en place une « veille formalisée sur les concurrents, les nouvelles offres ou les innovations technologiques », signe, note l’étude, d’un manque d’ouverture vers l’extérieur. Et parmi ceux qui ont une vision de leur transformation numérique, les deux tiers n’ont pas établi de feuille de route claire pour la mener à bien. Une petite minorité, 13 % à peine, en fait une priorité stratégique affichée, et encore moins nombreux sont ceux qui ont lancé des formations dédiées, alors que 24 % expliquent la non-exploitation des données par le manque de compétences en interne.
L’un des problèmes majeurs, c’est qu’un quart seulement des entreprises ont recours à des conseils extérieurs et associent les équipes opérationnelles ; encore moins (14 %) utilisent « fortement les outils de travail collaboratif en interne ». Cela confirme le déficit d’ouverture des dirigeants, non seulement vers l’extérieur, révélé par le manque de veille, mais aussi vers l’intérieur. Au-delà de l’exploitation du numérique, cette étude du Lab de BpiFrance, qui s’appuie sur une vingtaine d’entretiens avec des entrepreneurs éclairés, déplore une organisation écoutant peu et favorisant les silos. Les deux tiers des dirigeants reconnaissent ne favoriser que peu ou pas « les projets en mode expérimental, avec de fortes prises d’initiatives des équipes [2] » : « la logique de silo semble l’emporter ! »
Or, les silos réduisent la vision et dégradent l’intelligence collective disponible. Et l’étude constate que les projets de transformation numérique restent à 77 % l’affaire de la direction générale, alors que l’on sait que le capital d’intelligence collective résulte d’une mobilisation de TOUT le personnel [3]. Et les travaux sur la maturité numérique de CapGemini et du MIT Sloan Management [4] ont démontré que les entreprises qui tiraient un profit compétitif de leurs investissements dans le numérique étaient celles dont les dirigeants non seulement avaient une vision et une action cohérentes, mais savaient aussi mobiliser leurs personnels dans des organisations favorisant les collaborations horizontales.
Côté positif, 57 % des dirigeants associent « régulièrement ou très régulièrement » leurs clients à la conception de leurs offres, mais ils ne sont que 39 % à avoir vraiment mis en place « des outils ou des process » pour recueillir et exploiter les données, et 40 % à utiliser ces données pour personnaliser leurs offres et leur relation client. Les transports et le tourisme sont en retard sur l’industrie, ce qui est préoccupant pour l’attractivité touristique de la France [5].
Graphique 1 – Les trois chantiers prioritaires selon le Lab de BpiFrance : recourir au numérique pour personnaliser la relation avec les clients, mais aussi faire évoluer l’organisation et la stratégie envers les partenaires pour mieux exploiter les possibilités ouvertes par le numérique
Source : Lab de BpiFrance, URL : https://www.bpifrance-lelab.fr/Analyses-Reflexions/Les-Travaux-du-Lab/Dirigeants-de-PME-et-ETI-face-au-digital. Consulté le 9 novembre 2017.
L’étude a distingué trois catégories de dirigeants : les sceptiques, 38 %, très en retard, plus nombreux dans les structures de moins de 50 salariés ; les apprentis, 52 % ; et les conquérants, 10 %, « pleinement engagés dans leur transformation digitale » et ayant pour « priorité de fédérer leurs équipes autour du projet de transformation ». Elle démontre que le sexe des répondants, la région d’implantation et l’âge ont très peu d’impact. Comme l’a déclaré au rassemblement organisé par BpiFrance le 12 octobre dernier Sylvie Guinard, dirigeante de Thimonnier, en train de robotiser avec succès son entreprise en s’appuyant sur un management par le sens, « ce n’est pas une question de génération », contrairement aux discours sur les jeunes. Le secteur d’activité et la taille sont les facteurs les plus influents.
Ce rapport ne se contente pas de photographier la situation, somme toute préoccupante, des entreprises françaises, il indique des voies salvatrices à suivre en s’appuyant sur les témoignages des entrepreneurs classés conquérants. L’enquête, menée entre février et avril 2017, montre que persiste le retard des PME françaises en matière de numérique, signalé il y a un an par Deloitte [6] : 11,5 % des PME vendaient en ligne contre 47 % des sociétés de plus de 249 employés.
Graphique 2 – Adoption des technologies numériques par les PME françaises (de 10 à 249 employés) par rapport au reste de l’UE. Les outils numériques « d’efficacité » pris en compte comme référence correspondent au cloud computing
Source : Deloitte et Eurostat, op. cit.
Cela traduit un retard par rapport à la moyenne européenne et pose donc la question de la compétitivité française : « En France, deux PME sur trois bénéficient d’un site Internet. La France accuse un retard par rapport au reste de l’Union européenne où trois PME en moyenne sur quatre » ont un tel site [7]. Et si les PME françaises pratiquent d’autant moins le e-commerce qu’elles sont petites, ce n’est pas le cas des très petites entreprises allemandes qui sont à égalité avec les PME. Il n’y a donc pas de fatalité induite par la taille. En revanche, « les PME françaises ayant initié ou réalisé leur transformation digitale sont trois fois et demie plus susceptibles d’exporter que la moyenne des PME françaises ».
La mise en garde du Lab de BpiFrance aux entreprises qui risquent de disparaître d’ici peu d’années est d’autant plus crédible que le fait de négliger la mise en œuvre des apports du numérique empêche les PME françaises d’exploiter un atout stratégique majeur. À l’heure où le gouvernement français prépare un programme d’aide à la croissance des PME et ETI [8], il faut se souvenir qu’à l’ère des réseaux, la taille efficace des entreprises n’est plus matérielle ou financière, elle correspond à l’étendue et à la qualité des relations de synergie construites avec les clients, les fournisseurs et aussi les pairs. La construction de cet écosystème accroît la résilience et l’agilité des acteurs qui jouent la carte des alliances durables. Cela aurait sauvé les petits commerçants indépendants, s’ils avaient mutualisé des ressources et construit des centrales d’achats. Cela aurait évité le déclin de tant de centres-ville. Or on a vu que les PME en majorité négligent le renforcement des relations aussi bien avec les clients qu’avec les fournisseurs.
[1] Histoire d’incompréhension. Les dirigeants de PME et ETI face au digital, Paris : BpiFrance Le Lab, septembre 2017. URL : https://www.bpifrance-lelab.fr/content/download/6032/44092/version/3/file/Etude_Dirigeantsfaceaudigital_BpifranceLeLab.pdf. Consulté le 9 novembre 2017.
[2] Les dirigeants devraient exploiter en particulier les travaux du Club des pilotes de processus. Voir le site Internet http://www.pilotesdeprocessus.org
[3] Voir notamment Portnoff André-Yves, Le Pari de l’intelligence / Betting on Intelligence, Paris : Futuribles (Perspectives), 2004.
[4] Westerman George et alii, The Digital Advantage: How Digital Leaders Outperform their Peers in Every Industry, CapGemini / Massachusetts Institute of Technology (MIT) Sloan Management, juillet 2017. URL : https://www.capgemini.com/wp-content/uploads/2017/07/The_Digital_Advantage__How_Digital_Leaders_Outperform_their_Peers_in_Every_Industry.pdf. Consulté le 9 novembre 2017.
[5] Sur ce sujet, voir Lehalle Évelyne, « Les data, tendance 2016 », NTC (Nouveau tourisme culturel), 4 février 2016. URL : http://www.nouveautourismeculturel.com/blog/2016/02/04/les-data-tendances-2016/; et Fabry Philippe, « Le big data au service de la connaissance des touristes », eTourisme.info, 30 octobre 2017. URL : http://www.etourisme.info/big-data-service-de-connaissance-touristes/. Consultés le 9 novembre 2017.
[6] Économie numérique : le digital, une opportunité pour les PME françaises, Deloitte, décembre 2016. URL : https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/fr/Documents/strategy/deloitte_digital-opportunite-pme-francaises_jan2017.pdf. Consulté le 9 novembre 2017.
[7] Données Eurostat, URL : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=isoc_ciweb&lang=en
[8] « Plan entreprises : le gouvernement inaugure le “Bercy Lab” », Le Monde des artisans, 23 octobre 2017. URL : https://www.lemondedesartisans.fr/actualites/plan-entreprises-le-gouvernement-inaugure-le-bercy-lab. Consulté le 9 novembre 2017.