Est-ce que l’Europe soviétique, par son système économique ou par les tendances qui s’y dégagent, représente un ” autre modèle de consommation ” annonciateur d’une nouvelle civilisation et par conséquent digne d’attention ? Formulée par ceux qui ont la planification sociale soit pour métier soit pour souci, la question revient de temps en temps dans le débat politique français. Non qu’elle n’ait jamais reçu de réponse ou que le modèle soviétique, en particulier dans ses répercussions sur la consommation, fascine les Français. Mais si profond est le scepticisme quant à l’avenir de notre propre modèle hédoniste, marchand, ” démuni de grande ambition ” etc. – en tout cas, vu et jugé en ces termes-là par l’immense majorité – qu’on en vient tout naturellement à s’interroger sur les alternatives, disponibles ne serait-ce qu’en théorie. À propos du modèle soviétique, qui a le mérite d’exister, la question qu’on se pose est de savoir si après tout, c’est-à-dire, en dépit des tares qu’on lui reconnaît, ce modèle ne recèle pas quelques tendances ou innovations dignes de considération.
L’article qui suit cherche à répondre à cette interrogation-là. Il la limite bien entendu au domaine de la consommation et des consommateurs. Il discute successivement les cadres institutionnels et les tendances en revenant toujours à la question de départ qui est de savoir si la consommation en Europe soviétique – la manière dont elle s’organise, les objectifs vers lesquels elle tend – fait apparaître un modèle nouveau, inédit, en tout cas différent de celui des sociétés occidentales.