Depuis dix-huit ans, je pratique à la fois des observations empiriques et une analyse des statistiques ou des enquêtes comparatives sur l’Europe occidentale. Dans la plupart des domaines, les clivages culturels persistent depuis longtemps, et notamment l’opposition entre le Nord et le Sud. Il faut toutefois se demander s’ils résistent aux facteurs massifs d’homogénéisation des modes de vie ou si la diversité renaît.
Dans les anées 1960 et 1970, on assistait à une lutte d’influence entre deux modèles culturels, septentrional et méditerranéen.
Dessinons-les sous la forme de ” types-idéaux ” qui sont restés nettement distincts jusqu’au début des années 1980. Le modèle culturel dominant dans l’aire septentrionale valorise le travail, l’accumulation, l’effort à long terme, le temps, la vie intérieure, l’éducation scientifique. On honore le mythe du progrès, à travers la recherche de l’efficacité, de la technicité, des objets fonctionnels dans la vie quotidienne. On attache de l’importance à la vie privée, radicalement séparée du travail, et à la sociabilité organisée, grâce à de multiples associations. On réprime l’expression ouverte des sentiments, comme la manifestation extérieure des inégalités ; la charge de travail est répartie de façon très égalitaire entre un très grand nombre d’adultes, de sorte que la durée du travail moyenne est faible.
À l’inverse, le modèle méditerranéen accorde peu d’importance à la vie intérieure, et plus à la vie en groupe informel, aux arts d’expression. Le travail est, comme dans toute société traditionnelle, intégré à la vie quotidienne, mais n’a pas pour but le progrès technique. On valorise le style baroque et l’exubérance des sentiments, on étale les inégalités, on exclut les femmes de l’enseignement supérieur, du travail hors domicile, de la vie publique.
Européens du Nord, Européens du Sud
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 163, mars 1992