À nos lectrices et à nos lecteurs, j’adresse tous nos vœux les meilleurs pour la nouvelle année et les invite à découvrir les habits neufs de Futuribles. Lancée voici 45 ans, notre revue, tout en restant fidèle à ses valeurs, fait en effet « peau neuve », espérant ainsi en rendre la lecture toujours aussi riche mais peut-être moins austère et plus plaisante.
Notre objectif n’a pas changé. Au-delà de ce qui fait l’écume des jours, notre objectif est toujours de fournir à nos lecteurs une analyse résolument pluridisciplinaire et prospective sur les grands enjeux du monde contemporain et ses futurs possibles. En essayant, en toute indépendance, de vous inciter à prendre un peu de hauteur vis-à-vis des événements, et à vous permettre de mieux comprendre ce qui peut advenir et donc ce que vous pouvez faire. Mais partager des réflexions prospectives doit aussi être un plaisir et lire notre revue doit permettre d’allier l’utile à l’agréable. Tel est le but de notre nouvelle maquette et de rubriques nouvelles comme « Repères », destinée à présenter des éléments de cadrage qui nous sont souvent demandés ; celles-ci permettront d’ouvrir nos colonnes à des contributions plus variées.
Au sommaire de ce numéro figure un dossier sur le numérique, 70 ans après qu’Alan Turing et John von Neumann aient jeté les bases de l’informatique non sans s’interroger déjà, comme le montre Pierre Papon, sur ses similitudes et différences avec le cerveau humain ; 70 ans donc pour atteindre les performances que nous lui prêtons aujourd’hui. Cela nous incite à penser que tout ne va pas aussi vite qu’on l’affirme souvent… Plus de 20 ans se sont aussi écoulés depuis que l’on a commencé à disserter sur les « villes intelligentes », en imaginant que grâce au pilotage algorithmique, la ville deviendrait plus sobre, plus fluide, plus agréable à vivre et plus compétitive. Mais cela prend du temps et Jean-François Soupizet montre ici la diversité des projets en cours ainsi que les nombreuses questions qu’ils soulèvent.
Parmi les progrès figurent bien évidemment les performances encore limitées de l’intelligence artificielle qui, à en juger au travers de notre série publiée dans la revue Futuribles tout au long de l’année 2019, est encore loin d’avoir acquis les mêmes facultés que le cerveau humain. Mais figurent aussi des avancées incontestables : la diffusion et l’usage très répandu des ordinateurs, tablettes et téléphones portables, la reconnaissance de la voix, des visages et même des émotions au travers des objets et compteurs connectés, des robots et des drones… Bref, une capacité sans précédent à collecter un volume considérable de données supposées être le trésor des années à venir, dont l’usage peut cependant être très ambivalent, déboucher sur le meilleur comme sur le pire.
Ce phénomène est parfaitement illustré par l’article d’Emmanuel Dubois de Prisque sur le « système de crédit social » en développement en Chine, qui « vise à rendre la société chinoise plus civilisée et plus harmonieuse », et doit permettre à Pékin d’évaluer, récompenser et punir sa population selon que les citoyens sont jugés ou non honnêtes et dignes de confiance. La description qu’il nous livre des projets pilotes existant déjà dans 43 municipalités et l’objectif de Xi Jinping de faire ainsi de la Chine « un pays gouverné par la vertu » font froid dans le dos. George Orwell est dépassé. En lisant cet article et la prétention du gouvernement chinois d’instaurer un tel système de notation des individus et des entreprises, d’abord chinoises puis occidentales, opérant en Chine, l’on peut assurément essayer de se rassurer en prétendant n’y voir qu’un avatar du « légisme » chinois. Peut-on pour autant en conclure que les démocraties malades d’Occident sont à l’abri de telles pratiques ?
Nos lecteurs liront aussi avec plaisir l’article de Geneviève Ferone Creuzet et Virginie Seghers, qui répond aujourd’hui à une réelle préoccupation, tant le capitalisme, auquel nous devons d’avoir en Occident atteint un niveau de confort sans précédent, semble aujourd’hui s’être dévoyé et être devenu plus destructeur que pourvoyeur de bienfaits. Dans le prolongement de notre série sur « l’entreprise et la fabrique du bien commun », leur article révèle la nécessité de repenser les finalités des entreprises, leur statut et leur mode de gouvernance, de telle sorte qu’elles intègrent dans leur mission les préoccupations environnementales et sociales. En prônant le développement d’un capitalisme d’intérêt collectif, Geneviève Ferone Creuzet et Virginie Seghers œuvrent pour une cause qui répond à l’évidence à une urgence, celle d’un développement durable qui ne reste pas qu’un slogan.
D’autres articles figurent dans ce riche numéro, comme celui en faveur d’une « troisième voie » pour l’Amazonie entre excès de protection et exploitation intensive, et ceux sur la souveraineté à l’ère numérique et sur l’Union européenne dotée d’une nouvelle Commission.