Au 1er janvier 1993 est supposé être instauré, au sein de l’Europe des douze, un marché unique au travers duquel circuleraient librement les hommes et les capitaux ainsi que les biens et les services. Quels que soient les délais d’achèvement effectif dudit ” Marché Intérieur “, force est d’observer que, conçu essentiellement au bénéfice d’une compétitivité meilleure des entreprises européennes face à une concurrence internationale sans cesse plus vive, il présume – sans que la preuve jusqu’ici ait pu en être apportée – l’instauration simultanée d’un marché unifié de 340 millions de consommateurs. Donc en quelque sorte l’émergence, au travers d’une convergence des aspirations et des modes de vie, d’un Euro-consommateur type, perspective incertaine mais qui assurément ne saurait laisser indifférents les responsables du marketing, des directions commerciales et de la publicité. Ceux des entreprises européennes escomptant, en contre-partie, disposer d’un marché plus vaste ; ceux sans nul doute aussi des entreprises étrangères concurrents, avant tout japonaises et américaines, dont les ambitions ne sont pas moindres ni les atouts négligeables…
L’émergence d’un tel Euro-consommateur est-elle un mythe ou une réalité ? Assistons-nous en effet à une convergence, sinon à une uniformisation des niveaux de revenus et de la structure de consommation des ménages européens, eux-mêmes n’étant, reconnaissons-le, qu’un indicateur très relatif qui ne saurait nous dispenser d’explorer, sur un plan plus qualitatif, l’évolution des goûts et des aspirations, des attitudes et des comportements ?
Le papier de Brigitte Vincent n’a peut-être pas un caractère très prospectif, mais il a l’immense mérite de nous fournir, pour la première fois, une analyse statistique comparée de l’évolution des niveaux de revenus et de consommation des ménages européens, de la structure de leurs dépenses par grandes catégories (alimentation, logement, transport, habillement et équipement du foyer, loisirs) telles qu’elles peuvent être appréhendées en séries longues au travers des données disponibles à l’Office Statistique des Communautés Européennes.
Il fournit d’utiles indications sur le degré de convergence et de divergence entre pays, comparées d’ailleurs aux disparités internes aux États-membres et avec d’appréciables éléments de comparaison, notamment avec les États-Unis et le Japon. Au demeurant, il révèle l’influence qu’exerce en la matière le niveau de revenu mais aussi le type de ménage et l’appartenance à telle ou telle catégorie socio-professionnelle.
À l’aune de tels indicateurs, force est de constater que l’Euro-consommateur, conclut l’auteur, n’existe pas. Il ne fait aucun doute, au demeurant, qu’au-delà du climat et de la géographie, les valeurs, les aspirations, les comportements – tout en se rapprochant – diffèrent largement d’un pays à l’autre. N’est-ce pas également vrai cependant d’un État à l’autre des États-Unis, d’une région à l’autre dans chacun de nos pays, voire d’un ménage, sinon d’un individu, à l’autre au sein d’une même localité ? Ceci nous renvoie à l’atomisation générale des modes de vie qui implique peut-être davantage de production sur mesure mais n’empêche pas une progression régulière de la consommation…
La consommation des ménages européens. L'Euro-consommateur à l'épreuve d'une analyse statistique comparée, 1980-1988
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 163, mars 1992