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La transition écologique, un mythe ?

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Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 447, mars-avr. 2022

Nos sociétés sont éminemment dépendantes des énergies fossiles, à commencer par le pétrole dont le prix a grandement fluctué depuis 50 ans. On se souvient des deux chocs pétroliers des années 1970, le baril du pétrole de Brent faisant un bond à 40 dollars US. Il fluctue ensuite dans les années 1990 pour atteindre un nouveau pic à 140 dollars US en 2008 et reste à un niveau élevé jusqu’en 2015, avant de chuter à nouveau jusqu’en 2020 pour remonter et atteindre début février 2022 les 93 dollars US. Les lecteurs étant plus sensibles au prix des carburants à la pompe, celui-ci en prix courant (bien différent du prix constant, a fortiori des prix du brut en raison des taxes) dépasse aujourd’hui en France 1,80 euro le litre (contre 0,20 euro en 1970). Un prix que les Français estiment exorbitant bien que, rapporté au salaire minimum horaire, ce prix ait baissé depuis 1970 et qu’il ne tienne pas compte du coût des pollutions qu’entraîne la consommation de pétrole, notamment de l’impact des émissions de gaz à effet de serre sur le climat et de la nécessité pour l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Y parviendra-t-elle ? Et la France en particulier ?

De nombreux exercices de prospective énergétique menés par l’Agence internationale de l’énergie, l’Association négaWatt, le Réseau de transport d’électricité (RTE), l’Agence française de la transition écologique (ADEME), ont été très soigneusement étudiés par Pierre Papon, ainsi d’ailleurs que le « Plan de transformation de l’économie française » du Shift Project. Son article nous en livre ici une analyse comparative magistrale. Il montre ainsi que, au-delà de l’effort de sobriété qui s’impose (et que nul ne respecte), la transition énergétique, côté demande, exigerait une véritable révolution dans nos modes de vie : dans l’alimentation, et plus encore dans l’habitat (notamment au détriment du rêve de maison individuelle) et les transports, donc dans l’aménagement du territoire. Mais aussi dans nos modes de production, qu’elle soit agricole, sylvicole ou industrielle. En outre, côté production, tous les auteurs s’accordent sur le recours croissant à l’électricité mais diffèrent sur la manière de la produire. Et les perspectives concernant le mix énergétique (reposant aujourd’hui à 70 %, dans l’Union européenne, sur les énergies fossiles) sont fort diverses, notamment en France, quant à la part du nucléaire et des énergies renouvelables – sans même évoquer ce qu’elles impliquent comme progrès technique (les batteries, par exemple).

Ayant déjà beaucoup tardé à démarrer, cette transition devient chaque année plus difficile à accomplir : c’est, écrit Pierre Veltz, un « Himalaya à gravir », une « bifurcation systémique » qui doit être profonde, rapide et équitable, donc socialement acceptable. Et l’auteur du livre L’Économie désirable [1] nous présente ici un projet de société résolument différent de celle dans laquelle nous vivons, en évitant deux écueils, celui du repli utopiste (la décroissance) et celui de l’hubris techniciste (le capitalisme salvateur). Il faut, écrit-il, améliorer l’efficacité de nos processus de production et d’usages, mais savoir que ceci ne suffira pas, en raison des « effets rebonds » (dont témoignent de manière exemplaire le bâtiment et le numérique), de la non-durabilité (obsolescence des biens) et de la « profondeur technologique » (l’informatique embarquée dans l’automobile, par exemple). Les modes de vie devront eux-mêmes radicalement changer (« sobriété, frugalité, tempérance… »), au travers de choix non seulement individuels mais aussi collectifs (logement, urbanisme, mobilité, emploi) qui exigeront des investissements importants. En définitive, Pierre Veltz plaide pour une « économie humano-centrée », fondée non plus sur l’accumulation de biens mais sur l’épanouissement des individus ancrés dans le local pour penser et agir « en grand ». Vaste programme, bien peu abordé jusqu’à maintenant dans la campagne pour les élections présidentielles françaises et qui exigerait un plan stratégique !

En lisant l’article de Marc Giget portant sur les « stratégies d’innovation des entreprises leaders », certains lecteurs auront peut-être le sentiment que l’auteur rêve. Non, nous dit-il, il s’appuie sur un important travail d’enquête et d’étude qui révèle que les entreprises réellement performantes se soucient de leur pérennité et ont une stratégie d’innovation à long terme ; elles attachent la plus grande importance à leurs ressources humaines, à la qualité de leurs relations avec leurs partenaires, clients et fournisseurs, cultivent l’esprit d’initiative et se révèlent très attachées à certaines valeurs, y compris à leurs responsabilités sociétales. Examinant ensuite leurs engagements au regard des objectifs de développement durable (les ODD des Nations unies) et leurs orientations à l’horizon 2030 et 2050 (zéro carbone), l’auteur finalement nous livre une description des thématiques essentielles qui déterminent leurs actions…



[1] Paris : Seuil, 2021.

#Énergie #Modes de vie #Transition écologique
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