Depuis le naufrage du Titanic en 1912, l’iceberg est maudit par tout le monde avec la même ferveur et crainte que le requin, le loup ou Frankenstein. La croyance populaire en fait un monstre, toujours gigantesque, devant qui l’on est impuissant : une force de la nature au même titre qu’un volcan ou un raz de marée. Quelques petites voix timides s’élèvent pour souligner qu’il joue malgré tout un rôle dans l’univers, ne serait-ce qu’en créant des courants ascendants d’eau froide, amenant à la surface de riches éléments nutritifs. D’autres affirment avec fanfare que, pour les pays arides qui se dessèchent sur leur pétrole, l’iceberg, c’est ” l’eau promise “, dès que l’on pourra la ramener sous forme d’énormes paquets de glace.
Pour l’industrie pétrolière, l’iceberg est une plaie dont elle pourrait bien se passer depuis qu’elle s’est mise à la recherche d’hydrocarbures dans les fonds marins au large du Labrador qui, selon certains promoteurs, pourrait être une seconde mer du Nord. Au large de l’Écosse, elle a réussi à vaincre une mer effroyable, un temps affreux et un froid rigoureux en dépensant pour chaque puits vingt fois plus qu’en Arabie Saoudite. Au large du Labrador, les pétroliers ont trouvé des conditions climatiques aussi mauvaises qu’en mer du Nord, avec comme ” surprime ” la présence d’icebergs qui exigera dix fois plus de moyens qu’à Ekofisk. On se débarrasse de ces énormes morceaux de glace en les remorquant, comme on toue une vulgaire automobile en panne parce qu’elle gêne la circulation sur une autoroute.
Le détournement des icebergs
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 15, mai-juin. 1978