Depuis qu’est amorcé en Europe centrale et orientale le mouvement de libéralisation, l’Occident s’interroge sur l’ampleur des flux migratoires qui pourraient se développer d’Est en Ouest et sur lesquels sont produites régulièrement des estimations fort diverses.
J.-C. Chesnais commence par rappeler que l’ancien bloc soviétique, bien que l’émigration y fut interdite, a perdu près de 10 millions de personnes entre 1946 et 1989, mais que le phénomène revêtait une importance fort différente selon les pays d’origine.
Il montre ensuite comment ces mouvements se sont amplifiés au cours des années 1989-1990, du fait surtout du retour des Allemands mais aussi de l’ouverture progressive d’une URSS jusqu’alors hermétiquement fermée. Il montre aussi comment, durant cette récente période, la frontière entre pays d’émigration et d’immigration s’est déplacée à l’Est : la Pologne, la Hongrie, La Tchécoslovaquie devenant à leur tour pays d’immigration. L’auteur fournit à cet égard une analyse fort intéressante des différents pays d’accueil et de l’origine des immigrés montrant notamment, pour les premiers du palmarès (Allemagne, Israël et États-Unis), d’où proviennent principalement les migrants.
L’analyse rétrospective de ces flux permet au demeurant à l’auteur de dresser une typologie des migrations en fonctions de leurs causes principales, puis d’esquisser cinq scénarios contrastés balayant le champ des possibles qui, selon J.-C. Chesnais va ” d’un retour serein à une Europe normale ” (le nombre d’immigrés d’Est en Ouest étant estimé alors à deux millions de personnes) jusqu’à celui caractérisé par un véritable ” exode économique ” qui toutefois, selon l’auteur, ne saurait probablement atteindre les chiffres extravagants parfois annoncés (d’aucuns ont parlé de vingt millions de départs entre 1991 et 1993) du fait des restrictions qu’opposeraient les Soviétiques et des capacités limitées d’accueil en Occident.
Par les estimations qu’il fournit des ” potentiels migratoires “, J.-C. Chesnais montre cependant l’étendue des incertitudes qui planent sur ces mouvements de population qui, à l’évidence, ne font que donner une acuité encore plus grande aux enjeux plus vastes qu’entraîne la libéralisation engagé : celle de la restructuration économique d’un espace dévasté, de la renaissance d’une grande Europe, du renforcement de l’Allemagne…
L'émigration d'Europe centrale et orientale. Tendances et enjeux
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 158, oct. 1991