Dans son numéro de l’été 2020, la RIS (Revue internationale et stratégique) consacre un dossier aux grands défis de la décennie sur la scène internationale. Bien évidemment, la crise du Covid-19 est présente dans l’ensemble des contributions, et ce d’autant que l’horizon proposé est assez court (2020-2030). Les thématiques abordées sont variées mais, à travers les différents articles, on peut distinguer plusieurs grands enjeux pour les 10 ans à venir : l’organisation mondiale de la production dans un monde post-Covid, la montée des inégalités, la crise économique et ses conséquences dans les pays les plus pauvres, notamment en Afrique et en Amérique latine, l’anticipation des crises, la souveraineté des États et l’essor des populismes.
Du village planétaire à la place du village
Ces grands défis sont bien résumés dans l’article introductif du dossier, rédigé par Sébastien Abis, conseiller scientifique de Futuribles et directeur de Demeter (un écosystème du secteur agricole et agroalimentaire tourné vers les réflexions de long terme, les enjeux mondiaux et les dynamiques intersectorielles), et Didier Billon, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Les deux auteurs expliquent que s’il est trop tôt pour qualifier la crise du Covid-19 comme une rupture majeure du cours de l’Histoire, celle-ci a sans aucun doute révélé les limites de l’organisation de la mondialisation libérale et des hyperinterdépendances dont elle est à l’origine. Le titre de l’article est particulièrement bien choisi (« Du village planétaire à la place du village ») et encadre parfaitement le périmètre de la réflexion de ce numéro par deux scénarios extrêmes : celui de la mondialisation sauvage et celui du repli sur soi, de l’« assignation à résidence » où toutes nos interactions se font dans un périmètre très proche du lieu de vie.
Prospective : le Covid-19 était-il prévisible ?
Dans ce dossier, l’article de François de Jouvenel, directeur de Futuribles, s’intéresse à l’utilité de la prospective en temps de crise. En effet, on a constaté un regain d’intérêt pour cette discipline suite à la crise du coronavirus. Les deux questions principales étant : cette crise pouvait-elle être anticipée, et donc évitée ? Et l’interrogation suivante : comment fait-on pour construire le « monde d’après » ?
François de Jouvenel rappelle dans un premier temps la thèse de Nicholas Taleb, auteur de la théorie du cygne noir. En effet, les cygnes noirs (black swans) sont des événements peu probables, non prévisibles mais à forts impacts. Ces événements, par nature imprévisibles, sont difficiles à documenter. Envisager tous les « cygnes noirs » relève donc de l’impossible et serait totalement contreproductif. Toutefois, il ne faut pas les négliger et, en prospective, il est intéressant et conseillé d’explorer quelques situations peu probables dont les impacts sont considérés comme importants voire existentiels pour l’organisation qui entreprend la démarche de prospective. Toujours en s’appuyant sur la thèse de N. Taleb, François de Jouvenel alerte également sur le fait que de nombreuses ruptures sont le fruit d’évolutions lentes et sous-jacentes, et les documenter permet si ce n’est de prédire l’avenir avec précision, du moins d’en préciser les contours. Il faut donc prendre garde à ne pas évoquer la « puissance de l’imprévisible » pour se justifier de n’avoir pas anticipé certaines situations. D’ailleurs, selon N. Taleb, la crise du coronavirus était un « cygne blanc » et aurait pu être anticipée, c’est la forme et les caractéristiques du virus qui étaient imprévisibles.
Et s’il semble difficile d’envisager le très long terme après une telle crise qui nécessite encore aujourd’hui une adaptation en temps réel, la prospective est plus que jamais nécessaire selon François de Jouvenel. Il explique que la société manque aujourd’hui de projets collectifs de long terme stimulants et réalistes. Il est urgent de créer des récits d’avenir mobilisateurs. Il existe aujourd’hui un sentiment de paralysie face aux problèmes globaux et complexes, qui est à l’origine d’un manque d’anticipation. La crise du coronavirus a mis en évidence le manque de préparation des sociétés occidentales à une crise majeure. Penser le long terme est donc aujourd’hui une nécessité, même si les échéances de court terme liées aux conséquences du Covid-19 accaparent beaucoup de temps.
À lire également dans ce numéro
On trouvera aussi dans ce numéro un entretien avec Manuel Lafont Rapnouil sur les enjeux qui vont structurer les relations internationales d’ici 2030, un article sur la géopolitique de la pandémie d’Yves Aubin de la Messuzière, un entretien avec François Gemenne sur les enjeux climatiques de la décennie, un article de Michel Goya sur les nouvelles formes de guerre et de conflit, une contribution de Cécile Duflot sur les inégalités dans le monde, un article de Gérard-François Dumont sur la « bombe démographique », un article de David Djaïz sur le retour des États-nations et, à l’inverse, un article de Gilles Babinet et de Théophile Lenoir sur l’effacement des États dans la gouvernance des infrastructures numériques.