Ce numéro de la revue Futuribles comporte deux dossiers majeurs : l’un sur l’avenir de l’Afrique ; l’autre sur la réforme des retraites en France. J’y reviendrai. Mais il comporte aussi d’autres textes non moins importants : celui de Thérèse Awada apporte un éclairage fort utile sur les progrès scientifiques applicables au domaine de la santé, les espoirs et dangers que suscite l’idée d’homme « augmenté », voire du transhumanisme ; la Tribune européenne de Jean-François Drevet montre, alors que les élections approchent, les progrès que nous devons à l’Union européenne et, bien entendu, ceux qui restent à réaliser ; le texte de Daniel Kaplan, s’appuyant sur un exercice dans le secteur spatial, explique comment la fiction peut contribuer utilement aux démarches prospectives en permettant de s’affranchir des conceptions en cours pour penser autrement les futurs possibles.
Mais je reviens à l’Afrique, vaste continent sujet à bien des clichés très réducteurs, et objet de discours fort contradictoires et changeants. Ce continent n’est certes pas le seul à être victime de discours à l’emporte-pièce conduisant à des perceptions erronées de ses réalités et de son devenir. Rappelons-nous, par exemple, les thèses développées à partir de 2001, à l’initiative de Goldman Sachs, sur les nouveaux pays émergents (les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) supposés devenir les nouveaux leaders de l’économie mondiale… Est-ce vraiment ce que l’on observe, par exemple, au Brésil ou en Afrique du Sud ? Méfions-nous donc des effets de mode qui, s’agissant de l’Afrique, ont été particulièrement contradictoires : « continent perdu » selon les termes de René Dumont (1990) ou continent du futur [1], dont l’avenir reste toujours en débat comme en témoigne la dernière conférence internationale sur son émergence [2].
Nous avons décidé de lancer, dans la revue Futuribles, une série d’articles conçus en étroite coopération avec l’Institut des futurs africains afin, au-delà des clichés, de nous éclairer sur les futurs possibles de l’Afrique, essentiellement subsaharienne. La première question était de savoir si notre philosophie de la prospective – notre conviction que l’avenir n’est pas prédéterminé et qu’il nous incombe pour une part de le construire – est compatible avec les cultures africaines, et dans quelle mesure cette philosophie est répandue en Afrique et influence le comportement des acteurs. C’est l’objet de l’article de Souleymane Bachir Diagne. Notre deuxième objectif, dans ce premier dossier, était de fournir à nos lecteurs un panorama critique des exercices de prospective menés en Afrique, de leurs succès et de leurs échecs, c’est-à-dire du rôle qu’ils ont pu jouer dans l’élaboration de politiques de développement. Tel est l’objet de l’article d’Alioune Sall qui en tire pour l’avenir d’utiles enseignements.
Le deuxième dossier spécial de ce numéro porte sur l’avenir des retraites qui pose, depuis longtemps en France, un problème majeur en raison du vieillissement démographique et du déséquilibre tendanciel entre le nombre d’actifs cotisants et celui des inactifs âgés allocataires. De nombreuses réformes paramétriques ont déjà été adoptées ; elles sont cependant insuffisantes pour assurer la pérennité et la solvabilité des régimes de retraite obligatoires (les 42 régimes de base et complémentaires). Le président de la République a donc annoncé vouloir les remplacer par un régime unique fonctionnant par points dont la valeur constituerait la principale variable d’ajustement. Le Haut Commissariat à la réforme des retraites (HCRR) est chargé de mener une large consultation préalable à la mise en œuvre de cette réforme. Dans notre rubrique « Forum » (qui, comme son intitulé l’indique, a vocation à recueillir des points de vue contrastés utiles au débat), nous publions ici deux textes révélateurs de la controverse en cours, le premier contestant le bien-fondé d’un tel régime unique, a fortiori sa gouvernance par l’État ; le dernier soutenant la thèse inverse…
Nous avons mené, au sein de Futuribles International, plusieurs études sur l’avenir des retraites, fondées sur la méthode des scénarios [3]. J’en résume quelques conclusions :
1) La crise actuelle n’est pas une crise conjoncturelle, mais la résultante d’une mutation radicale entre deux modèles de développement ; les mesures visant à retrouver une croissance économique sur le modèle des Trente Glorieuses risquent d’être inefficaces et de retarder l’effort d’adaptation et d’innovation qui s’impose.
2) Une réforme structurelle des systèmes de retraite est indispensable ; l’allongement de la durée de cotisation ou le report de l’âge de la retraite risquent d’être inefficaces en l’absence d’une réforme profonde de la formation tout au long de la vie et du marché du travail devant permettre d’instaurer plus de mobilité et de sécurité (« flex-sécurité »), et s’accompagner d’un allègement des charges sociales indispensable à la lutte contre le chômage et au relèvement du taux d’emploi.
3) Une réforme fiscale globale est donc indispensable. Elle devrait passer par une augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée), voire l’instauration d’une TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sociale.
4) Il est urgent de donner une nouvelle impulsion à l’Union européenne au travers d’un Pacte pour la compétitivité et l’emploi permettant l’assainissement des finances publiques, et l’adoption d’une nouvelle stratégie de développement économique et de cohésion sociale.
5) Enfin, l’on y soulignait que les mesures proposées – dont la mise en œuvre et les bénéfices ne seraient pas immédiats – devaient s’inscrire dans un projet collectif à long terme suffisamment mobilisateur pour surmonter la résistance au changement particulièrement forte en France.
Tout, ou presque, reste à faire.
[1]. Voir par exemple, Sarr Felwine, Afrotopia, Paris : éd. Philippe Rey, 2016.
[2]. La Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique (CIEA), Dakar, janvier 2019.
[3]. Notamment Jouvenel Hugues (de) et Parant Alain, L’Avenir du système français de protection sociale, Paris : Futuribles International, 2013.