Six mois après le début de la pandémie de Covid-19, l’avenir à long terme reste suspendu à des lendemains fort incertains. Mais si une deuxième vague ne la remet pas en cause, la parution de ce numéro de Futuribles aura lieu en septembre : moment, sauf empêchement majeur, de la rentrée scolaire ; celui, pour un grand nombre, du retour au travail (en résidentiel ou à distance ?) ; celui hélas, pour beaucoup, du chômage ; une période durant laquelle pourront être vraiment évalués les dommages entraînés par la crise et l’efficacité des mesures adoptées pour en amortir les effets, voire tenter d’amorcer la « relance ». Quelle relance ? Celle supposée rétablir le monde d’avant ou celle marquant le début du monde d’après, qui a fait couler tant d’encre ces derniers mois ?
Vécue comme une véritable rupture, la crise le fut-elle en réalité ? Oui, peut-être, concernant la fin du leadership américain, l’essor de la sino-mondialisation, voire le réveil de l’Europe grâce à l’heureux accord sur son plan de relance promu par le couple franco-allemand. Mais elle a surtout été marquée par une accélération des tendances qui, auparavant, étaient déjà observables : de nouvelles attentes vis-à-vis du travail imposant de nouvelles formes d’organisation, l’émergence de nouveaux modes de consommation et styles de vie, l’essor des préoccupations écologiques… Toutefois, la question reste entière de savoir comment ces tendances vont pouvoir se traduire durablement dans les comportements et dans l’ordre social.
Sans doute nos contemporains sont-ils plus sensibles au problème climatique et à la perte de biodiversité, sans pour autant adhérer à l’idée de décroissance. Les pouvoirs publics y ont contribué en France, avec la Convention citoyenne pour le climat fort médiatisée et les premières annonces concernant le plan de transition écologique. Mais beaucoup reste à faire pour trouver comment « relancer l’économie par l’écologie », comme affirme vouloir le faire le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. La voie semble étroite, mais elle existe. Tel est en substance ce qu’entend ici démontrer Guillaume Benoit (p. 5-27) qui, après avoir rappelé notre dépendance aux ressources naturelles, à commencer par la terre et l’eau, révèle de quelle manière l’agriculture et les forêts peuvent, outre leurs fonctions alimentaires et socioculturelles, jouer un rôle efficace pour lutter contre le réchauffement climatique et participer au développement durable.
Se nourrir, se loger, se vêtir, se chauffer, même si nous sommes de plus en plus nombreux, seraient possibles pour tous, affirme l’auteur, si nous adoptions une agriculture « régénérative » devant tenir compte des territoires. Penser global, agir local, on y revient également au sujet des politiques de transition énergétique qui font ici, dans le prolongement de notre série Énergie-climat, l’objet de deux articles. Celui de Patrick Criqui et Henri Waisman (p. 29-48), prenant acte des limites des négociations internationales et, par exemple, des engagements adoptés par les parties lors des conférences mondiales sur le climat (COP), montre combien il est nécessaire que la mise en œuvre des transitions tienne compte des spécificités nationales ; donc qu’aux approches intégrées au niveau mondial soient adjointes des politiques de neutralité carbone nécessairement différentes d’un pays à l’autre.
Laura Cozzi, présentant ici les perspectives énergétiques de l’Agence internationale de l’énergie à l’horizon 2040 (p. 49-67), souligne qu’en ce domaine, rien d’efficace ne peut être accompli sans une vision à long terme qui est, trop souvent, défaillante de la part des gouvernements. Puis elle s’attache à indiquer quels défis, à la fois économiques et énergétiques, les plans de relance peuvent relever. Elle montre enfin les espoirs pouvant être fondés sur les énergies renouvelables et l’électricité, certes sous réserve de progrès technologiques…
Soulevant plus généralement le problème des ressources en sols, terres, eau, énergie, en relation avec celui de la démographie – en bref, la question du développement -, l’article de Didier Billion et Alain Parant sur l’Égypte (p. 69-90) montre aussi comment le sort incertain d’un pays peut être lourd de conséquences sur la scène mondiale. Il vient renforcer le plaidoyer de la nouvelle présidente de la Commission européenne en faveur d’une Europe géopolitique auquel Jean-François Drevet consacre sa chronique européenne.
Comme toujours, nos lecteurs trouveront également dans ce numéro une brève sélection d’actualités prospectives, celles-ci désignant des faits relevés dans l’actualité qui nous paraissent porteurs d’avenir, qu’il s’agisse ici d’un nouveau classement mondial des universités, de l’essor de la corruption ou encore de l’impact de la crise sanitaire sur la consommation des ménages. Enfin, dans la rubrique « Lu, vu, entendu », une analyse des principaux livres, rapports, films dignes d’intérêt, dont le rapport de France Stratégie sur « Les métiers au temps du corona ».