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Quelle solidarité demain ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 391, déc. 2012

Dans mon éditorial à propos du contrat de génération [1], j’ai fait allusion à l’étude engagée par Futuribles International sur « la solidarité à l’épreuve du vieillissement démographique ». J’y reviens pour en préciser l’objet, en évoquer les premiers résultats et explorer rapidement leur lien avec les mesures annoncées par le gouvernement français à l’issue du « rapport Gallois [2] » dont la presse a largement rendu compte.

Notre objectif est d’examiner comment pourraient évoluer à moyen et à long terme les solidarités entre et au sein des générations, que celles-ci transitent par le système de protection sociale, par le canal des mutuelles, compagnies d’assurance ou banques, ou au travers des relations familiales, professionnelles et de voisinage. Outre les formes d’entraide en nature, les flux financiers entre générations sont en effet complémentaires et très différents en volume et par nature : les transferts publics hors éducation, par exemple, étant essentiellement obligatoires et ascendants (ils vont des actifs vers les plus âgés), tandis que les transferts privés sont davantage volontaires et descendants (allant des plus âgés aux plus jeunes).

Les transferts publics étant infiniment plus importants que les autres, nous nous intéressons en premier lieu à ceux-là : d’abord au travers d’un travail de simulation macroéconomique mené sur six pays [3], portant sur les effets propres du vieillissement – c’est-à-dire ceux résultant de la seule déformation de la structure par âge de la population – sur le système de protection sociale ; ensuite au travers d’un travail à caractère plus prospectif qui repose sur des hypothèses contrastées par exemple sur la croissance économique, l’emploi, le budget social de la nation…

Pour mener à bien ce travail, plutôt que de retenir, comme on le fait trop souvent, la variante médiane des projections démographiques, nous avons résolument simulé les effets propres qui résulteraient des variantes les plus contrastées des projections sur les dépenses publiques de santé et les dépenses de retraite. Les résultats de cet exercice confirment l’ampleur du défi auquel nos six pays risquent d’être confrontés.

En effet, dans l’hypothèse d’un vieillissement minimal, les remboursements des dépenses de santé seraient, en 2050, de 12 % à 38 % plus faibles qu’en 2010, tandis que dans l’hypothèse d’un vieillissement maximal, ils seraient réduits de 25 % à 50 %. L’autre branche de l’alternative, consistant en une augmentation des prélèvements, impliquerait de majorer la cotisation santé de 14 % à 62 % dans l’hypothèse d’un vieillissement minimal, et de 33 % à 99 % dans l’hypothèse d’un vieillissement maximal.

S’agissant des retraites, la pension moyenne par rapport au salaire moyen devrait être réduite de 19 % à 51 % ou de 38 % à 68 % selon la variante de vieillissement, une autre possibilité étant, là aussi, d’augmenter le montant de la contribution (de 17 % à 63 % ou de 41 % à 91 %), sauf bien entendu à accroître très sensiblement le nombre d’actifs cotisants ou le nombre d’années de travail des actifs (de 3,8 ans à 10,7 ans ou de 7,7 ans à 13,4 ans !).

Voilà les premiers résultats de notre exercice de simulation. Le travail de prospective que nous menons actuellement nous éclairera davantage sur les défis à relever. Mais il est évident que les projections établies pour la France par le Conseil d’orientation des retraites [4] sous-estiment grandement l’ampleur des réformes à adopter, y compris parce qu’elles reposent sur des hypothèses de croissance économique, de productivité et d’emploi excessivement optimistes. L’état de santé de l’économie française qui a, fort opportunément, conduit le gouvernement à confier à Louis Gallois un rapport sur le redressement à opérer, est très mauvais. Et si les premières mesures annoncées par le Premier ministre constituent un premier pas, elles ne sauraient avoir de vertus miracles.

L’allègement des coûts salariaux en particulier, y compris par le mécanisme d’un crédit d’impôt (ne pénalisant donc pas le budget de la Sécurité sociale) partiellement compensé par une augmentation de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), me paraît aller dans le bon sens. Mais, à supposer qu’il entraîne, comme l’estime le ministre des Finances, la création de 300 000 emplois d’ici 2017 (ce qui ne serait pas négligeable), nous serons encore très loin du plein emploi en 2022, même en tenant compte des autres mesures destinées à relancer la croissance économique. Cela ne signifie pas que ces efforts soient vains ; cela indique qu’ils seront insuffisants et que les réformes paramétriques du système de protection sociale qui pourraient elles-mêmes être introduites, ne permettront certainement pas de le préserver en l’état.

Comme, en outre, les flux privés descendants des plus âgés vers les plus jeunes sont en partie liés aux conditions de vie des aînés, l’équilibre général du système, déjà très inéquitable, ne peut que se rompre. Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer aux valeurs qui ont présidé à l’édification du système français de protection sociale, mais cela signifie qu’il faut évidemment le réorganiser autrement. Et il faudra faire des choix dont le caractère éthique et politique est évident, notamment quant à la répartition des richesses entre des générations dont le parcours au fil des âges est différent.



[1]. « Du contrat entre générations », Futuribles, n° 389, octobre 2012, p. 3-4.

[2]. Gallois Louis, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, Paris : rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012.

[3]. Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède.

[4]. COR (Conseil d’orientation des retraites), Retraites : perspectives actualisées à moyen et long terme en vue du rendez-vous de 2010, Huitième rapport adopté le 14 avril 2010, Paris : COR, 2010.

#France #Générations #Politique sociale
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