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Revenu universel : que retenir des expérimentations déjà menées ?

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Futuribles s’intéresse depuis de nombreuses années au concept de revenu universel, auquel nous avons consacré différentes publications et interventions (voir ci-dessous).

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Publications récentes sur le revenu universel

Damon Julien, « Revenu universel : actualités, orientations, plausibilité », Analyse prospective, n° 191, 21 avril 2016, Futuribles International. URL : https://www.futuribles.com/fr/document/revenu-universel-actualites-orientations-plausibil/

Jouvenel Hugues (de), « Vers un revenu universel d’existence ? », Futuribles, n° 418, mai-juin 2017. URL : https://www.futuribles.com/fr/revue/418/vers-un-revenu-universel-dexistence/

Van Parijs Philippe, « Le revenu universel », interview, 25 juillet 2017, Futuribles International. URL : https://www.futuribles.com/fr/document/le-revenu-universel/

N.B. : une liste détaillée, par ordre chronologique, de la plupart des articles publiés dans la revue Futuribles sur le sujet depuis 1983 figure p. 73-74 du futur d’antan d’Hugues de Jouvenel cité ci-dessus.

URL consultés le 4 septembre 2018.
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Certains y voient la solution pour une société plus égalitaire, d’autres le considèrent au contraire au mieux comme irréaliste, au pire comme une menace pour l’équilibre économique et social. Dans tous les cas, le revenu universel ne laisse pas indifférent, et les nombreux débats qu’il suscite ont récemment été relancés par deux annonces. D’un côté, le gouvernement finlandais a décidé en avril 2018 qu’il ne poursuivrait pas son expérimentation du revenu universel, commencée en janvier 2017 [1].

De l’autre, 13 départements français ont annoncé en juin 2018 leur intention d’expérimenter le revenu de base sous forme d’une fusion de certaines allocations existantes [2].

Dans quel contexte ces deux annonces se situent-elles en termes de connaissance des impacts du revenu universel ? Pour le comprendre, Futuribles a interrogé Yannick Vanderborght, professeur de sciences politiques à l’université Saint-Louis (Bruxelles) et professeur invité à l’université catholique de Louvain. Avec Philippe Van Parijs, il est le coauteur de L’Allocation universelle (Paris : La Découverte [Repères], 2005) et de l’ouvrage de référence Basic Income: A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2017, analysé sur le site de Futuribles) dont la traduction française paraîtra à La Découverte en mars 2019.

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L’annonce du gouvernement finlandais doit-elle être interprétée comme un échec de l’expérimentation ? Quels enseignements peut-on déjà en tirer ?

Yannick Vanderborght : « Non, il ne s’agit pas du tout d’un échec car il était prévu dès le départ que l’expérimentation ne dure que deux ans ; il est donc normal qu’elle s’achève à la fin de l’année 2018. Néanmoins, les chercheurs qui pilotent le dispositif auraient souhaité la prolonger d’un ou deux ans, et sont donc déçus que le gouvernement ne les ait pas écoutés.

« L’expérimentation finlandaise a globalement été très bien conçue, par des chercheurs très expérimentés, sous la direction du professeur Olli Kangas qui est une personne de référence en matière de politiques sociales en Europe. Pilotée par la Sécurité sociale finlandaise (Kela), elle associe plusieurs universités, dont l’université de Tampere où s’est tenu le congrès du Basic Income Earth Network fin août 2018. Depuis janvier 2017, 2 000 chômeurs de longue durée reçoivent 560 euros par mois. Ces personnes, âgées de 25 à 58 ans, perçoivent cette somme sans condition, même si elles retrouvent un emploi, et peuvent l’utiliser comme elles le souhaitent. L’expérimentation a pour objectif principal d’étudier l’impact de cette incitation financière sur le travail, mais aussi sur le bien-être des participants.

« Même si les premières évaluations de l’expérimentation ne seront disponibles qu’en 2019, plusieurs limites peuvent néanmoins être soulignées.

« Premièrement, les chercheurs souhaitaient que les bénéficiaires de la prestation soient un groupe représentatif de l’ensemble de la population finlandaise. Mais le gouvernement préférait tester l’impact de la prestation spécifiquement sur les chômeurs de longue durée.

« Deuxièmement, les chercheurs auraient aimé évaluer les conséquences de la mise en place d’un revenu universel sur les contribuables. En effet, dans le cadre des expérimentations sur le revenu universel menées jusqu’à présent dans le monde, les prestations sont versées grâce à un budget spécifique alloué par une administration publique ou des organismes de recherche. Mais, si un revenu universel était véritablement instauré dans un pays, il devrait être financé a priori par une hausse des prélèvements, par exemple de l’impôt sur le revenu. Or, certains chercheurs font l’hypothèse que cette hausse pourrait constituer une incitation à réduire ses revenus, donc son temps de travail, tout en continuant à recevoir l’allocation. Les chercheurs finlandais auraient donc vu voulu tester une hausse du taux marginal d’imposition d’un échantillon de ménages, ce qui leur a également été refusé, car cela remettait en cause l’égalité devant l’impôt.

« Troisièmement, les résultats de l’expérimentation pourraient être en partie faussés par le fait qu’il est désormais possible, pour les bénéficiaires du revenu, de partager leur expérience avec leurs proches, sur les réseaux sociaux, mais aussi avec les médias. Ils peuvent donc modifier leur comportement en conséquence, même s’il est très difficile d’analyser la nature et l’ampleur de ces changements. »

L’expérience finlandaise est loin d’être la première dans ce domaine, que peut-on retenir des expérimentations de revenus de base déjà réalisées par le passé ?

Y.V. : « Différentes expériences ont en effet été menées dès la fin des années 1960, dans plusieurs pays. Parmi les plus instructives, figurent quatre expérimentations conduites aux États-Unis entre les années 1960 et 1980, dont la plus longue a duré neuf ans (à Seattle et à Denver). Leurs résultats font toujours l’objet d’analyses et de débats parmi les chercheurs, ce qui est un bon indicateur de la complexité du sujet ! Mais l’impact le plus évident est une baisse modeste du temps de travail pour une partie des bénéficiaires. La garantie de revenu, même faible, a donc joué comme une incitation à diminuer son temps de travail, voire à quitter un emploi.

« Une recherche récente sur une expérimentation canadienne (1974-1979) a aussi conclu à une amélioration de l’état de santé chez les bénéficiaires, à la fois parce que l’allocation leur a permis de mieux couvrir leurs dépenses, et parce que le stress lié aux contraintes budgétaires a pu diminuer.

« Autre conclusion intéressante : une modeste hausse du taux de divorce a été enregistrée chez les femmes bénéficiaires de l’allocation à Seattle et Denver, où cette dernière aurait facilité leur indépendance financière. »

Quelles sont les questions auxquelles les différentes expérimentations n’ont jusqu’à présent pas permis de répondre, et qui peuvent expliquer les incertitudes qui entourent encore le concept de revenu universel ? Comment les chercheurs pourraient-ils procéder à l’avenir pour y répondre ?

Y.V. : « J’identifie à ce jour deux incertitudes concernant l’impact d’un revenu universel.

« Premièrement, le fait que, lorsqu’une expérimentation est menée, elle ne se fait pas “sous cloche”, mais dans un contexte national donné, qui peut interférer. Ainsi, le New Jersey a testé un revenu inconditionnel en 1969, mais trois mois après le début de l’expérimentation certains ménages bénéficiaires sont devenus éligibles à l’aide sociale, et il était donc plus difficile d’isoler l’impact du premier. L’expérimentation annoncée par les départements français devra aussi faire face à ce type de problème, puisque les habitants pourraient continuer à percevoir des allocations versées directement par l’État, ou souhaiter quitter l’expérimentation si de nouvelles prestations sont créées. Le même type de difficulté apparaît quand on examine le marché du travail. Si un revenu de base était créé au niveau du pays entier, quel serait l’impact sur les salaires ? Certaines entreprises vont-elles baisser les rémunérations au motif que les travailleurs ont un complément de revenu garanti cumulable avec leur salaire ? À l’inverse, certaines vont-elles augmenter les salaires parce que les emplois qu’elles offrent trouvent plus difficilement preneurs en raison de l’existence d’un revenu inconditionnel ? Je doute que l’on puisse vraiment tester ce type d’effets d’un revenu de base dans le cadre d’une expérimentation plus localisée, qui semble faire abstraction du fait que le marché du travail n’est pas départemental, mais (au minimum) national.

« Une autre incertitude concerne l’impact possible d’un revenu de base qui devrait être garanti à vie, puisque les expérimentations sont toujours limitées dans le temps. Les choix faits par les bénéficiaires pour la gestion de leur argent et de leur carrière professionnelle dans le cadre d’une expérimentation peuvent donc être très différents de ceux qu’ils auraient faits avec la certitude d’avoir une allocation jusqu’à la fin de leur vie.

« Dans tous les cas, il est nécessaire d’essayer de s’éloigner de l’obsession concernant l’impact du revenu universel sur l’offre de travail. Je ne pense pas que l’instauration d’un revenu universel incite mécaniquement les individus à réduire leur temps de travail, voire à arrêter de travailler. D’une part, le montant de l’allocation sera probablement insuffisant. D’autre part, il est bien connu que le travail n’est pas seulement source de revenus, mais aussi moyen d’épanouissement. Certes, il est impossible de financer un revenu universel sans un nombre suffisant de travailleurs susceptibles de contribuer à son financement. Mais il ne faut pas oublier que ce dispositif peut aussi avoir des impacts positifs plus larges : accès facilité à la formation, aux stages, mobilité professionnelle, possibilité de lancer une entreprise, une coopérative, de se soigner, de prendre en charge un proche dépendant, etc. L’enjeu est donc de réussir à prendre en compte les impacts à moyen-long terme, et pas uniquement ceux à court terme. Un salarié qui quitte son travail grâce au revenu universel peut, après 5 ou 10 ans, s’être épanoui dans un autre métier, voire avoir créé sa propre entreprise. Or, pour l’instant, on manque d’outils pour comprendre et extrapoler ces conséquences.

« On comprend dès lors que les expérimentations doivent être interprétées avec beaucoup de prudence, et qu’il ne faut pas sous-estimer leurs limites, compte tenu de la diversité des contextes législatifs, culturels, économiques…

« Si un revenu universel devait être instauré durablement à l’échelle d’un pays, le processus devrait nécessairement être progressif. Dans un premier temps, il consisterait en une allocation relativement faible, peut-être versée à une population limitée, puis une phase d’ajustement du dispositif serait nécessaire, avant de l’élargir en réduisant au maximum les effets pervers. On comprend donc que l’instauration d’un revenu universel permanent et substantiel dans un pays européen pourra difficilement se faire du jour au lendemain ! »

Propos recueillis par Cécile Désaunay



[1] Goodman Peter S., « Finland Has Second Thoughts about Giving Free Money to Jobless People », The New York Times, 24 avril 2018. URL : https://www.nytimes.com/2018/04/24/business/finland-universal-basic-income.html. Consulté le 4 septembre 2018.

[2] Poussart Alexandre, « Revenu de base : pourquoi 13 départements veulent l’expérimenter », Public Sénat, 11 juin 2018. URL : https://www.publicsenat.fr/article/societe/revenu-de-base-pourquoi-13-departements-veulent-l-experimenter-86803. Consulté le 4 septembre 2018.

#emploi #Politique sociale #Revenu minimum
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