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Vers un ralentissement durable du commerce mondial ?

Avec la montée du protectionnisme, la fermeture de certaines frontières et les volontés isolationnistes de certaines grandes puissances (comme les États-Unis de Donald Trump), il n’est pas rare d’entendre parler d’une possible fin de la mondialisation.

Pour vérifier ce phénomène, la Brookings Institution [1] a analysé différentes composantes de la mondialisation (flux de personnes, de capitaux et de marchandises) en série longue.

Source : Seidel Brina et Chandy Laurence, « Donald Trump and the Future of Globalization », Brookings Institution, 18 novembre 2016. URL : https://www.brookings.edu/blog/up-front/2016/11/18/donald-trump-and-the-future-of-globalization/. Consulté le 20 avril 2017.

En réalité, les auteurs ont constaté une croissance quasi continue des migrations (en % de la population mondiale) ainsi que des flux de capitaux (en % du produit national brut, PNB). Ces derniers ont été touchés par la crise économique de 2008 mais semblent reprendre leur croissance. En revanche, sept ans après (les données sont de 2015), le commerce mondial (en % du PNB) peine à se remettre de la crise de 2008.

Dans leur chapitre de L’Économie mondiale en 2016, Sébastien Jean et Françoise Lemoine [2] montraient que le ralentissement de la croissance du produit intérieur brut (PIB), à l’échelle mondiale, ne suffisait pas à expliquer celui du commerce. Alors que la croissance des échanges commerciaux était deux fois celle du PIB sur la période 1995-2007, elle peine à atteindre le même niveau de croissance sur les années 2012, 2013 et 2014, une fois les effets de la crise de 2008-2009 amortis.

Les auteurs ont analysé l’impact de mesures protectionnistes prises depuis la crise de 2008, mais leur nombre et les secteurs affectés n’expliquent pas non plus cette moindre croissance des échanges internationaux (y compris pour la Chine). En revanche, les auteurs de la Brookings, tout comme Sébastien Jean et Françoise Lemoine, avancent le fait que le modèle de fractionnement des chaînes de valeur pour les multinationales de produits industriels, pourrait avoir atteint ses limites.

En effet, l’analyse de l’allongement des chaînes de valeur des entreprises multinationales (décomposition du processus de production en une multitude de tâches réparties dans plusieurs pays pour tirer à chaque fois parti des ressources locales, effets d’échelle, compétences ou bas coût de la main-d’œuvre…) indique qu’un changement est en cours.

Dans leurs travaux, Sébastien Jean et Françoise Lemoine ont analysé plus précisément le commerce extérieur de la Chine, souvent qualifiée d’« usine d’assemblage du monde ». Ils expliquent que le ralentissement du commerce mondial est largement dû au ralentissement des importations chinoises (en part du PIB) dès le milieu des années 2000 et de ses exportations dès 2006 dans le domaine industriel.

En séparant les importations d’assemblage chinoises (exemptées de taxes douanières et pour moitié dans le domaine de l’électronique) des importations ordinaires (sous régime douanier normal), les auteurs montrent que ces importations stagnent et baissent même légèrement depuis 2006, alors que les importations ordinaires continuent à augmenter.

Outre que les multinationales aient pu trouver d’autres terres de délocalisation avec la montée des salaires en Chine et que la demande des marchés occidentaux se soit affaiblie dans cette période, la Chine s’est aussi tournée, depuis plus de 10 ans, davantage vers son marché intérieur.

Certes, les échanges commerciaux mondiaux augmentent toujours, mais cette augmentation est essentiellement due aux importations européennes de marchandises qui continuent de croître. En Asie et en Amérique du Nord, des baisses des exportations s’observent depuis 2014, en lien avec une baisse ou une stagnation des importations dans le monde entier (à l’exception de l’Europe).

Volume des exportations et des importations de marchandises par région, 2012-2016
Indices du volume corrigés des variations saisonnières, base premier trimestre 2012 = 100

La période où le commerce mondial de biens augmentait comme deux fois le PIB semble révolue, d’autant que désormais il n’existe plus a priori, dans le monde, de grands pays fermés qui pourraient s’ouvrir au commerce international (le dernier était la Chine). Irons-nous jusqu’à un franc repli des échanges de marchandises ou va-t-on assister à une stagnation des échanges liée à un effet de seuil ? Les échanges de services pourront-ils prendre le relais ? Leur croissance passée a été très lente : ils sont passés de 3 % du PIB en 1990 à 5 % du PIB en 2015. Toutefois, demain, les services numériques à distance (conseil, dépannage, formation, etc.), en pleine croissance actuellement, pourraient accélérer leur développement et représenter une nouvelle facette de la mondialisation.



[1] Chandy Laurence et Seidel Brina, « Is Globalization’s Second Wave about to Break? », Global Views, n° 4, octobre 2016, Brookings Institution. URL : https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/10/global_20161005_globalization-second-wave.pdf. Consulté le 19 avril 2017.

[2] Respectivement, directeur du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) et conseillère au CEPII. Voir « Ralentissement du commerce mondial : vers une nouvelle ère de la mondialisation ? », in L’Économie mondiale en 2016, Paris : La Découverte, 2015, p. 87-102.

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