Revue

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Espérance de vie aux États-Unis (suite)

Futuribles suit depuis plusieurs longtemps les évolutions de l’espérance de vie en France et aux États-Unis. Ainsi, dès 2011 [1], et de nouveau en 2021 [2], nous alertions sur la baisse de l’espérance de vie outre-Atlantique. En 2022, l’espérance de vie moyenne à la naissance d’un Américain est plus faible que celle d’un Albanais ou d’un Cubain. Quelles sont les raisons de cette dégringolade de l’espérance de vie aux États-Unis ?

Dans ce pays, l’espérance de vie a diminué de 2,7 ans entre 2020 et 2022 (22 mois de diminution en 2020 puis 11 mois en 2021), pour s’établir à 76,1 ans en 2021. Si toutes les populations voient leur espérance de vie baisser, les Afro-Américains et les Indiens et natifs de l’Alaska (AIAN) sont les plus durement touchés : en moyenne entre 2019 et 2021, ces deux communautés ont perdu respectivement quatre et six années d’espérance de vie.

Espérance de vie à la naissance selon l’origine hispanique et ethnique aux États-Unis, 2019-2021

Source : National Center for Health Statistics, National Vital Statistics System, Mortality.

Cette baisse concerne aussi bien les femmes que les hommes : l’espérance de vie s’établit désormais à 79,1 ans pour les premières (contre 79,9 ans en 2020) et 73,2 ans pour les seconds (contre 74,2 ans en 2020). L’écart entre femmes et hommes, qui n’a cessé de se creuser ces dernières années, atteint désormais près de six ans. À titre de comparaison, l’espérance de vie en France est de 85,5 ans pour les femmes et 79,4 ans pour les hommes.

Espérance de vie à la naissance par sexe aux États-Unis, 2000-2021

Source : National Center for Health Statistics, National Vital Statistics System, Mortality.

Cette baisse n’est pas nouvelle : l’espérance de vie stagne depuis 2010 et diminue depuis 2014. Mais elle est accélérée par la double crise épidémique causée par la surconsommation d’opioïdes et la pandémie de Covid. Les morts imputés à la Covid s’élèvent à plus d’un million depuis le début de l’épidémie. Parallèlement, l’impact de l’épidémie d’opioïdes qui sévit aux États-Unis sur la mortalité est édifiant : entre avril 2020 et avril 2021, 107 000 décès sont imputés à la consommation d’opioïdes, soit une augmentation de 28,5 % par rapport à l’année précédente. À titre de comparaison, 45 000 personnes sont mortes par arme à feu en 2021. Cette crise puise ses racines dans un phénomène plus large mis en lumière par les économistes Anne Case and Angus Deaton, les « morts de désespoir ». Ils ont mis en évidence la prévalence de comportements à risque (alcoolisme, tabagisme, obésité…) dans les régions des États-Unis minées par le chômage et la désindustrialisation. Limité dans les années 1990 et 2000 aux régions pauvres et blanches du Midwest et du Sud-Est, ce phénomène gagne désormais les grands centres urbains avec l’arrivée sur le marché du fentanyl [3] en 2013 et frappe maintenant les minorités (afro-américaine, hispanique…). Au total, depuis 1999, près d’un million d’Américains sont décédés des suites d’une overdose.

La crise Covid n’est donc pas la seule responsable de la baisse de l’espérance de vie aux États-Unis. Elle constitue un facteur aggravant de cette tendance observée depuis 2010. La politique sanitaire peu contraignante caractérisée par le positionnement antimasque de plusieurs États républicains (Floride et Texas notamment) et la faible couverture vaccinale (68 % contre 80 % en France) expliquent la mortalité très importante causée par la pandémie de Covid.

L’épidémie semble désormais moins virulente et une diminution de la mortalité pourrait s’observer, néanmoins, les causes profondes de la chute de l’espérance de vie sont, elles, toujours vivaces. Les liens entre « morts de désespoir », pauvreté et crise du travail (concurrence des industries des pays à bas salaire, « ubérisation » croissante des emplois de service, écrasement ultralibéral des protections réglementaires et syndicales) mis en évidence par Anne Case et Angus Deaton n’incitent pas à l’optimisme. Les perspectives pessimistes d’évolution de l’économie américaine publiées par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), qui prévoient un ralentissement de la croissance (2,5 % en 2022 et 1,2 % en 2023) et le maintien de l’inflation au-dessus de 2 %, dessinent un paysage économique contraint dans lequel l’espérance de vie aux États-Unis risque fort, à moyen terme (5-10 ans), de continuer à baisser ou au mieux de stagner.

Arthur Magnes

  1. Voir notamment Désaunay Cécile, « L’espérance de vie aux États-Unis », et « L’obésité et le tabac font baisser l’espérance de vie aux États-Unis », Note de veille, respectivement 14 janvier et 21 février 2011, Futuribles International.

  2. Magnes Arthur, « Espérance de vie, Covid, opioïdes : évolutions inquiétantes aux États-Unis », Note de veille, 14 septembre 2021, Futuribles International.

  3. Le fentanyl est un analgésique opioïde, dérivé de la phénylpipéridine, qui interagit principalement sur les récepteurs morphiniques µ du cerveau, de la moelle épinière et des muscles lisses. Il possède un effet analgésique environ 100 fois plus puissant que celui de la morphine. Voir le Vidal.

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