Un travail de prospective, qu’il s’agisse d’une démarche collective ou d’une étude, est conçu et géré comme un projet  (avec ses étapes de conception, planification, exécution, finalisation et bilan) ; une phase de préparation, de conception (parfois appelée préfiguration) est indispensable. Il s’agit de délimiter le sujet, les objectifs, etc. Les principales questions à se poser dans cette phase sont détaillées ci-dessous.

Dès le début d’une démarche, il apparaît utile de délimiter le sujet (les questions à traiter et celles auxquelles on envisage de donner des réponses), et d’apporter de premières réponses aux questions suivantes :

Pour quoi faire ?

La quasi-totalité des travaux de prospective est motivée par un besoin initial, une question politique, stratégique non résolue, un besoin d’éclairer l’avenir au service de l’action, un besoin d’acculturation aux changements… Comprendre et formuler ce(s) besoin(s) est fondamental. Pour cela, il convient que les commanditaires et les « clients » ou destinataires finaux (qui ne sont pas toujours les mêmes acteurs) puissent expliciter leurs attentes, qu’il faudra souvent de traduire en finalités. Parfois, il est utile de faire rencontrer des acteurs d’autres démarches de prospective, de présenter une variété de livrables de prospective, pour donner à voir ce que cela peut apporter [1].

[1] Inutile de demander si les acteurs veulent des scénarios sans qu’ils en connaissent l’approche, la portée, l’utilité.

Sur quoi vont porter les travaux ? Une première délimitation du sujet.

Dans cette phase de conception, soit le sujet est déjà précisé (par exemple : le calcul quantique dans 20 ans, la consommation des produits laitiers en 2030, les innovations thérapeutiques dans 10 ans, un territoire et son développement durable à long terme…), soit il est plus diffus ou plus large (par exemple : l’avenir des vétérinaires, la protection sociale, une organisation au cœur des grandes transitions…). Dans tous les cas, une première représentation des thèmes de travail relevant de l’environnement global, des acteurs et des questions spécifiques que l’on se pose est utile. Plusieurs techniques (entretiens, ateliers…) permettent de progresser dans ce sens.

Une question fréquente est celle de l’extension géographique des travaux ; la réponse à y apporter est souvent complexe. Il convient cependant de préciser l’extension de la réflexion concernant le sujet étudié, même si l’environnement peut être à une échelle très globale.

La formulation des questions auxquelles la démarche vise à apporter des réponses est un exercice très structurant et utile.

Une approche exploratoire et / ou stratégique ?

Il convient de se poser deux questions :

La démarche relève-t-elle essentiellement de la prospective exploratoire (que peut-il advenir ? quels enjeux ?) ou de la prospective stratégique au regard des retombées stratégiques ou politiques attendues (telles que la préparation d’un plan, d’une vision, de chantiers pour l’action) ?

Quel niveau d’association des parties prenantes et quel degré d’ouverture des résultats ? Les dispositifs sont significativement différents en fonction de la typologie rappelée ci-dessous.

Les différents types de démarches prospectives

Source : Jean-Philippe Bootz

Source : Jean-Philippe Bootz

Les différents types de démarches prospectives

Quel horizon ?

La prospective articule une réflexion sur le temps long, et l’action dans le présent ou le futur proche. Pour nourrir des décisions aux conséquences durables, le champ temporel d’exploration de la prospective peut être très lointain. Les enjeux environnementaux imposent par exemple des échelles de réflexion en phase avec les cycles de vie des écosystèmes.

L’horizon temporel pertinent dépend du rythme d’évolution du domaine concerné.

Les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) travaillent sur des scénarios climatiques à l’horizon 2100 ; les constructeurs automobiles réfléchissent à l’avenir de la mobilité à des horizons de 10-15 ans ; et de nombreux acteurs économiques cherchent à se projeter à des horizons de deux ou trois ans pour identifier de nouveaux marchés.

Dans tous les cas, la réflexion prospective ne consiste jamais à imaginer des avenirs lointains sans penser les trajectoires d’évolution. Il s’agit donc de travailler sur l’articulation des temps, de penser les relations entre des phénomènes à forte inertie et d’autres qui évoluent de façon beaucoup plus rapide.

Quelles parties prenantes ? Quelle gouvernance du dispositif ?

La question de l’ouverture des travaux aux parties prenantes (internes ou externes) doit être posée dans la phase de conception ; sans que les réponses apportées soient définitives. On note cependant que si la démarche est très participative dans les travaux d’exploration et les premières étapes, réduire ensuite cette participation lors des phases plus stratégiques se révèle délicat.

Organisée en mode projet, une démarche prospective se doit d’être gouvernée, pilotée. On distingue régulièrement trois niveaux :

  • Le pilotage, qui peut prendre la forme d’un comité et doit a minima se prononcer sur la conception, les résultats et messages clefs des travaux aux principales étapes, les livrables et leur diffusion.
  • Une équipe technique, pour assurer l’animation du dispositif, l’analyse et les synthèses utiles, et l’assistance à la maîtrise d’ouvrage générale du projet (programmation, ressources, méthodes).
  • Un ou plusieurs groupes de travail, d’échanges pour produire et confronter les analyses.

Exemple de formulation d’objectifs pour la démarche de prospective stratégique de l’Institut Pasteur (2008)

Exemple de formulation d’objectifs pour la démarche de prospective stratégique de l’Institut Pasteur (2008)

« Identifier et créer les conditions favorables (humaines, techniques, économiques, organisationnelles…) pour le développement de l’Institut Pasteur (IP), de ses missions à moyen et long termes. Elle n’est pas une étude de prospective sur les domaines scientifiques de l’IP. »

 

Il s’agit de : 

  • Se doter d’une représentation partagée des enjeux pour l’avenir de l’Institut Pasteur d’ici à 2020-2025, face aux transformations de la recherche mondiale en biologie.
  • Identifier les orientations et alternatives structurantes, notamment en matière de modèles de production et de valorisation de la recherche, d’attractivité des chercheurs, d’organisation, de taille, de grands équipements, de partenariat…
  • Construire les profils institutionnels possibles à long terme pour l’Institut Pasteur.
  • Établir une vision de long terme préparatoire à un projet stratégique.

La gouvernance de la démarche

Une équipe permanente

  • – Au service des groupes de travail pour la recherche d’informations, la production de synthèses, des entretiens au près d’experts, la préparation des réunions et la rédactions des comptes rendus
  • – Assure, avec les présidents de groupe, la coordination des travaux et échanges entre groupes
  • – Prépare la communication des travaux
  • – Rédige les rapports et la synthèse générale

Deux groupes de travail

  • – Groupe 1 : Évolution de la recherche en biologie dans le monde
  • – Groupe 2 : Ressources stratégiques à moyen/long termes, interactions entre disciplines (y compris relation à la santé publique)

Un comité d’orientation prospective

  • – Oriente les travaux à chaque grande étape

Groupe de directeurs de département

  • – Faire part des ses remarques, compléments et relaye les travaux auprès des unités

Comité de direction de l’Institut Pasteur

  • – Régulièrement informé, réunions toutes les six semaines
  • – Examine également des questions spécifiques (évolutions du réseau international, identité et marque IP…)

On comprend par ailleurs que les questions clefs sont celles figurant sur le schéma ci-contre :

Point d’attention : la conception doit rester un processus ouvert et ne doit pas tout fixer

L’approche prospective est à la fois constructiviste (on apprend en marchant) et exploratoire (on découvre comme des éclaireurs les évolutions, enjeux, actions). La méthodologie de travail vise à établir progressivement une compréhension prospective du sujet, des dynamiques à l’œuvre, et produit des résultats qui ne sont pas déterminables ex ante.

Ce qui signifie que si la démarche doit être gérée comme un projet, ses objets et finalités sont en partie ouvertes (pour le dire autrement, à la différence d’un projet d’architecte, on ne sait pas si l’on construit un pont, une route, un réseau électrique…). La démarche de prospective se doit même d’interroger son objet et ses finalités.

Exemple dans des domaines publics et non confidentiels

Dans une directive de 1992, la direction de l’Architecture et de l’Urbanisme positionne le Pays basque français comme un territoire majeur pour l’aménagement national (transfrontalier, couloir de circulation, etc.). Ceci motive le financement d’une étude prospective pour réaliser un schéma d’aménagement du Pays basque en recourant à une démarche prospective à 20 ans. Les travaux s’engagent ; il s’agit d’une démarche pionnière pour le Pays basque et pour la prospective territoriale en France. Trois ans plus tard, point de schéma d’aménagement en vue (la visée initiale n’est donc pas atteinte), mais un projet de territoire, un conseil de développement, un conseil des élus ; et un grand nombre de chantiers et d’actions accompagnés à l’échelle du Pays basque. Et surtout, une connaissance partagée du territoire et de ses enjeux futurs. Selon Aliette Delamarre, qui a suivi les travaux pour la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), la démarche prospective « Pays basque 2010 » a « produit du territoire ». Il faudra attendre 1997 pour que se dessine un projet d’aménagement. Les objectifs du dispositif ont changé en cours de route, et il est important d’en prendre conscience avec les commanditaires.

En 2001, des travaux de localisation d’une nouvelle plate-forme aéroportuaire pour la métropole de Toulouse sont entrepris. Le travail est mené à partir d’études économétriques et urbanistiques. La direction régionale de l’Équipement engage une réflexion prospective pour cadrer les hypothèses à long terme et aider à définir le type de plate-forme aéroportuaire et sa localisation, tout en faisant la synthèse des nombreuses études déjà menées. Assez rapidement, les analyses prospectives de synthèse mettant en relation les travaux divers montrent qu’une nouvelle plate-forme apparaît peu pertinente. Des travaux similaires menés pour la préparation du débat public du projet de plate-forme à Notre-Dame-des-Landes, ou dans le cadre de la liaison à grande vitesse entre Marseille et Nice (dite LGV PACA) aboutiront aux mêmes résultats.

À Paris 7e, France 23 novembre – 2 décembre 2023
À Paris 7e, France 1-2 décembre 2022