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L’Âge de la résilience. La Terre se réensauvage, il faut nous réinventer

Analyse de livre

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La première question qui vient à l’esprit, lorsqu’on ouvre un livre de Jeremy Rifkin, est celle de sa possible influence sur le monde des idées. Deux de ses ouvrages – La Troisième Révolution industrielle [1] et Le Green New Deal [2] – ont en effet eu un impact considérable sur les politiques publiques et sur les stratégies des entreprises. Certaines visions de Jeremy Rifkin ont même eu un effet autoréalisateur.

Rifkin Jeremy, L’Âge de la résilience. La Terre se réensauvage, il faut nous réinventer, Paris : Les Liens qui libèrent, octobre 2022, 400 p.

La Troisième Révolution industrielle prophétisait ainsi l’avènement d’une nouvelle ère socio-économique portée par la conjonction de six facteurs principaux – les défis écologiques, la révolution numérique, les progrès des énergies renouvelables, les bâtiments à énergie positive, la mobilité électrique et le stockage de l’électricité. La révolution numérique est loin d’avoir contribué, comme le prévoyait Jeremy Rifkin, à la transition écologique mais, pour le reste, ses prévisions se sont avérées assez justes. L’approche restait toutefois centrée sur des facteurs techniques, ce qui en limitait la portée. Elle surfait sur la croyance, alors largement partagée, selon laquelle la technologie pourrait (presque) tout résoudre. Le progrès technique et son bon usage restaient les principaux leviers de la révolution annoncée.

L’Âge de la résilience reprend le même procédé narratif mettant en scène quelques facteurs clefs « formant système », mais avec plusieurs différences notables :

– La tonalité générale est nettement moins optimiste : aux défis écologiques, s’ajoutent en effet les défis sanitaires et géopolitiques, mais aussi les crises de confiance vis-à-vis du capitalisme et de la démocratie.

– Le progrès est désormais considéré comme une notion obsolète (puisque l’âge de la résilience est supposé succéder à celui du progrès).

– Les facteurs et leviers fondant le nouveau paradigme ne sont pas seulement techniques (déploiement simultané de trois Internet : de l’information, de l’électricité et de la mobilité). Ils sont aussi sociopolitiques (montée en puissance politique des bio-régions [3], « pairocratie [4] » venant compléter la démocratie participative) et anthropologiques (développement d’une « conscience biophile »).

La démonstration s’inscrit dans la grande tradition de la prospective visionnaire nord-américaine dont Alvin Toffler fut un des plus brillants représentants : un récit dynamique mettant en relation quelques facteurs clefs, et s’appuyant sur une documentation solide et vivante (sources académiques, faits d’actualité, enquêtes personnelles de l’auteur…). Mais dans le cas présent, le récit souffre de plusieurs faiblesses :

– La première tient au virage que l’auteur doit négocier avec ses précédentes visions, et notamment avec l’optimisme techno-solutionniste qui irriguait La Troisième Révolution industrielle.

– La deuxième tient à la contradiction entre l’idée d’un nécessaire retour aux gouvernances locales (bio-régions, pairocratie) et celle du développement des trois Internet (de l’information, de l’énergie et de la mobilité). Pour l’instant, ces réseaux sont en effet contrôlés par un très petit nombre d’acteurs et l’auteur s’exprime peu sur les raisons qui pourraient ouvrir le jeu.

– Enfin l’auteur, habitué à raisonner sur des facteurs techno-économiques, est moins à l’aise avec les champs socioculturels et anthropologiques.

Ainsi, sa thèse selon laquelle les citadins saturés d’écrans et de technologie pourraient se muer rapidement en « biophiles » retrouvant cette « tendance innée (des enfants) à se concentrer sur la vie et les processus vivants » peine à convaincre.

Ce livre aura-t-il le même impact que la Troisième Révolution industrielle ? Cela paraît peu probable, en raison des faiblesses qui viennent d’être évoquées, mais aussi de sa moindre capacité à porter des récits positifs. L’auteur s’intéresse en outre assez peu aux conditions sociopolitiques qui pourraient permettre à l’âge de la résilience de s’imposer. Or ce paradigme – privilégiant le localisme et le recentrage sur la nature – se positionne à l’exact opposé de l’âge du métavers que les géants de la Tech sont en train de préparer. Il y aura donc fatalement un conflit entre les ...

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