Fort anciennes sont les questions posées par le progrès de la science et des techniques qui faisaient déjà dire à Rabelais que » science sans conscience n’est que ruine de l’âme « . Questions qui, depuis des siècles, ont hanté nombre de philosophes s’inquiétant de la puissance toujours plus grande dont nous disposons sans que notre sagesse augmente en proportion. Sans, a fortiori, que les scientifiques eux-mêmes, hormis quelques rares exceptions, tout occupés à produire de nouvelles connaissances et techniques, s’encombrent de considérations éthiques, philosophiques ou politiques, sur les bienfaits et méfaits de leurs découvertes (voir SALOMON Jean-Jacques. » Le clonage humain : où est la limite ? » Futuribles, n° 221, juin 1997).
» Le chercheur est irresponsable par principe et par métier » écrit Edgar Morin qui, soulignant l’accélération de ces progrès – et anticipant ceux de l’ingénierie génétique – écrit, en 1982, qu’il n’existe ni bonne ni mauvaise science, que celle-ci produit autant de potentialités asservissantes ou mortelles que de potentialités bénéfiques et que c’est » la maîtrise de la maîtrise de la nature qui fait aujourd’hui problème » (MORIN Edgar. Science avec conscience. Paris, Fayard, 1982). En d’autres termes, que nous allons de plus en plus assister au développement de techniques foncièrement ambivalentes pouvant conduire au meilleur comme au pire, l’enjeu étant en conséquence d’être vigilants quant aux usages qui pourraient en être faits.
Cette ambivalence s’est considérablement accrue à mesure que l’on s’est déplacé du registre de l’inerte vers celui du vivant, du registre des outils, simple prolongement de l’action humaine, vers celui des mécanismes inhérents à la vie elle-même. Depuis la publication, par Edgar Morin, de son célèbre ouvrage Science avec conscience (op. cit.), le développement de la science et des techniques a été foudroyant, par sa vitesse et par sa nature.
» On a pu, en quelque trois décennies, écrit dans ce numéro Louise Vandelac, isoler, modifier et breveter des gènes, transgresser des frontières établies depuis des milliers d’années entre les espèces et les règnes. […] En moins de 25 ans, nous sommes en effet devenus la première génération de l’histoire à concevoir des êtres en pièces détachées, parfois à des kilomètres et à des années de distance, sans se voir ni se toucher […] Nous sommes également devenus les tout premiers, dans cette étrange lutte contre la montre et contre nous-mêmes, à manipuler le génome des embryons, pour les juger, les jauger, les trier, certains envisageant même d’en corriger les défauts, voire d’en modifier certaines caractéristiques en vue d’améliorer,
disent-ils, l’espèce humaine. «
» Comme si tout, désormais, poursuit Louise Vandelac, des plantes à l’embryon, en passant par les vaches ou l’intelligence, n’était plus que flux d’informations à déchiffrer qui, grâce aux langages combinés du numéraire, de la génétique et de l’informatique, permettraient à certains de bricoler les espèces et de recoder le monde. » Ainsi dispose-t-on aujourd’hui d’un pouvoir sans précédent et doit-on se poser la question, après James Watson : » si nous pouvions créer des êtres humains meilleurs, grâce à l’addition de gènes, pourquoi s’en priver ? Quel est le problème ? » (p. 22 de ce numéro).
Le problème est à bien des niveaux, outre l’irresponsabilité des chercheurs pour qui » l’impératif de connaître doit triompher, pour la connaissance, de tous interdits, tabous, qui la limiteraient […], se désintéresser – dit Edgar Morin – de tous les intérêts politico-économiques qui utilisent eux, en fait, ces connaissances » et peuvent demain en tirer de grands profits (voir p. 27).
Problème résultant, par exemple, de » machines intelligentes capables de surpasser l’être humain en toutes choses : les technologies les plus incontournables du XXIe siècle représentent, affirme Bill Joy, chief scientist de Sun Microsystems (voir pp. 13-15), une menace sans pareille pour l’espèce hum
Science sans conscience...
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 264, mai 2001