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Basic Income: A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy

Analyse de livre

VAN PARIJS Philippe, VANDERBORGHT Yannick, « Basic Income: A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy », Harvard University Press, mars 2017, 384 p.

Alors que le projet de revenu universel n’a jamais été aussi présent dans les discussions politiques, un ouvrage captivant revient sur sa justification éthique, sa soutenabilité économique et sa faisabilité politique. L’idée, souvent relayée et discutée dans les colonnes de Futuribles [1], s’incarne dans un mouvement mondial de réflexions, propositions, expérimentations. En France, le sujet a fait l’objet d’une controverse nourrie à l’occasion de la campagne présidentielle de 2017. Mesure phare du candidat Benoît Hamon, la proposition a été plusieurs fois revue, dans ses visées, son périmètre et ses modalités de financement. Si l’ouvrage Basic Income était sorti un peu avant, il aurait probablement contribué à alimenter un programme plus stable.

Selon Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, le revenu universel, base d’une « liberté réelle égale pour tous », fonderait un modèle social plus juste et plus efficace. Il s’agit bien d’une « proposition radicale pour une société libre et une économie saine » comme le soutient le sous-titre du livre. Son avènement serait à intégrer dans la famille des conquêtes fondamentales telles que l’abolition de l’esclavage et l’instauration du suffrage universel. Parfaitement au fait des difficultés d’une telle construction et des réticences qu’elle suscite, les auteurs argumentent.

Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght ne veulent pas uniquement combattre la pauvreté. Ils veulent, plus fondamentalement, lutter en faveur de la liberté. Le revenu universel se conçoit comme un « ingrédient essentiel d’un cadre institutionnel d’émancipation durable ». L’instrument n’est pas seulement là pour régler des problèmes conjoncturels et, pourrait-on ajouter, pour gagner une élection, mais comme pilier fondamental d’une société libre.

Au regard de la protection sociale telle qu’elle s’est étendue, Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght observent que les mécanismes d’assistance et d’assurance ont créé des filets à travers les trous desquels certains peuvent passer. Afin, en premier lieu, de combler ces trous, le revenu universel se conçoit comme un socle sur lequel tout le monde peut s’appuyer. Il transforme la sécurité. Si les auteurs ne l’écrivent pas, ce qui se profile dans leur projet consiste en une puissante réinvention de la sécurité sociale comme ensemble de mécanismes, et une véritable réalisation de la sécurité sociale comme objectif. Insistons, avec une sémantique très française : la liberté réelle a beaucoup à voir avec la sécurité sociale.

Le revenu universel doit autoriser, afin de faire vivre la « liberté réelle », deux attitudes. D’une part, il s’agit de pouvoir refuser des emplois habituellement désagréables et convenablement, même si faiblement, payés. Alors, pour que ces métiers soient vraiment exercés, les rémunérations pourraient être poussées à la hausse. D’autre part, il s’agit de pouvoir prendre des emplois habituellement agréables et mal payés. Là est le cœur de l’idée : contre les emplois ennuyeux et inutiles ; en faveur des emplois vraiment enrichissants même si peu rémunérés. Pour une « économie saine », le revenu universel limite, voire éradique, deux phénomènes indésirables : le problème des individus qui se tuent à la tâche dans des métiers inintéressants, et celui de ceux qui se tuent à rechercher un emploi qu’ils ne trouvent pas.

On le voit, le dessein n’est pas de revoir les paramètres du RSA (revenu de solidarité active). Il s’agit, soutiennent Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, de reconstruire confiance et espoir dans l’avenir de nos sociétés. Ils ne veulent pas bricoler avec les barèmes des prestations et institutions sociales. Ils veulent « restructurer radicalement » la liberté.

La controverse comme la discussion technique sur le revenu universel porte assez rapidement sur le montant individuel, pour lequel des chiffres différents, allant de modestes à généreux, ont été mis en avant, et sur le coût collectif net d’une telle prestation. Basic Income n’évite pas ces questions et les traite frontalement.

Les auteurs ne plaident pas pour un montant figé qui incarnerait symboliquement la mesure. Ils estiment que le revenu universel doit être fixé en fonction des caractéristiques des systèmes socio-fiscaux et des niveaux de richesse. Ils suggèrent ainsi qu’il soit d’un montant aux alentours de 25 % du produit intérieur brut (PIB) par habitant. Il en irait de la sorte, avec des chiffres de 2015, de 1 163 dollars US mensuels aux États-Unis, 1 670 en Suisse, 910 au Royaume-Uni, 180 au Brésil, 33 en Inde, 9,5 en république démocratique du Congo. En France, pour faire le calcul qui n’est pas indiqué par les auteurs, le revenu universel serait à 754 dollars US soit quelque 675 euros, un montant intermédiaire entre les différents montants des minima sociaux.

Aux États-Unis, à un tel niveau, le revenu universel se situerait au-dessus du seuil de pauvreté fédéral. Dans la plupart des pays dans le monde, un tel revenu universel placerait la population au-dessus du seuil international de pauvreté à 1,25 dollar US par jour. Il n’en irait pas de même par rapport aux seuils relatifs de pauvreté couramment utilisés en Europe, à 60 % du niveau de vie médian. En un mot, au sujet de la pauvreté, le revenu universel a la capacité d’éradiquer la pauvreté absolue, mais il n’a pas la capacité d’éliminer la pauvreté relative (qui demeure d’ailleurs une mesure plus des inégalités que du dénuement poussé).

Du côté des dépenses, Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght ont donc une cible. Ils ont également des recettes pour financer leur revenu universel. En tant que socle, celui-ci remplacerait les prestations qui sont d’un montant inférieur. En plus du remplacement des prestations et des crédits d’impôt de montant inférieur, qui pourrait concourir à un revenu universel à hauteur de 10 % du PIB par habitant, il faut donc trouver des ressources supplémentaires. Il n’y a ni prélèvement ni assiette magiques. Les auteurs se disent, en l’espèce, « œcuméniques ». Toutes les pistes sont potentiellement bonnes à suivre. De toutes les manières, il faut une augmentation des prélèvements obligatoires. Ceci peut passer par davantage de taxation du capital, par un impôt sur la fortune (déjà présent en France), par des révisions de la fiscalité sur les successions, par de la création monétaire, par le développement d’une taxe Tobin sur les transactions financières, par de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sociale, des écotaxes… Bref, de nombreuses voies sont possibles. Aucune n’est la panacée. De toutes les manières, le sujet est affaire avant tout ici de volonté.

Se gausser est aisé. Hausser les épaules également. Brandir les traités de droit et les déficits des comptes publics n’empêche toutefois pas la discussion sérieuse qu’un tel ouvrage commande. Que le revenu universel soit ou non mis en place, dans un laps de temps plus ou moins lointain, n’invalide en rien ce qu’il permet déjà : réfléchir avec sérieux aux fondements et orientations de la protection sociale.



[1] Voir le récent « Futur d’antan » : Jouvenel Hugues (de), « Vers un revenu universel d’existence ? », Futuribles, n° 418, mai-juin 2017, p. 69-74.

#Revenu minimum #Sécurité sociale
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