L’auteur de cet article paru en 1948, Dominique Dubarle, était un père dominicain. Philosophe et théologien, celui-ci fut le doyen de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris et fut aussi expert au concile « Vatican II ». Il était également très bon connaisseur de la logique mathématique et de la physique nucléaire – collaborant avec le physicien Louis Leprince-Ringuet.
Cet article paraît trois ans après la mise en service, en novembre 1945, aux États-Unis (université de Pennsylvanie), du premier calculateur électronique (des calculateurs électromécaniques avaient été construits avant la guerre), la machine ENIAC (Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer). Celle-ci fonctionnait à l’aide d’une armada de 17 500 tubes électroniques, elle pesait 30 tonnes et consommait 150 kilowatts. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques avaient construit le calculateur Colossus avec lequel ils avaient percé le code secret Lorenz de la Wehrmacht qui lui permettait d’échanger des messages secrets codés (les Alliés surent ainsi que les Allemands ignoraient totalement le lieu du futur débarquement sur les côtes françaises). La carrière de l’ENIAC fut brève et il était le seul exemple connu d’« ordinateur » (ce terme n’était pas encore utilisé) électronique opérationnel, mais le mathématicien John von Neumann avait proposé, dès 1945, de construire un ordinateur plus performant travaillant selon une logique binaire.
L’article de Dominique Dubarle était véritablement prospectif puisqu’il formulait des hypothèses sur le développement et les applications des futurs calculateurs à de nombreux secteurs de la vie économique, sociale et politique qui, pour la plupart, se sont avérées exactes. On remarque, par exemple, qu’il présente l’importance des ordinateurs pour le traitement rapide des données et leur utilisation à la « bibliographie automatique » aujourd’hui possible grâce au Web. Il souligne aussi l’importance du livre que vient de publier en France Norbert Wiener, Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, l’ouvrage fondateur de la cybernétique. Dominique Dubarle, en philosophe et fin connaisseur des mathématiques, termine son article par une mise en garde contre les risques d’une confiance aveugle dans les vertus de ces nouvelles sciences : les « processus humains » ne sont pas prévisibles à l’aide des « froides mathématiques ». Ces propos prémonitoires, eux aussi, auraient pu être médités par les adeptes des mathématiques financières avant la crise de 2008.