Publié dans la revue Lectures pour tous en 1912, le texte que nous vous présentons, ci-après, montre qu’à cette date, quelques dizaines d’années après la politique de Méline (un des principaux instigateurs de la politique protectionniste française du début du XXe siècle), l’obsession de l’autosuffisance alimentaire était encore très forte.
Comment produire en France la quantité de blé nécessaire à la consommation des Français (240 kilos par personne et par an en 1911), et à un prix abordable alors que, d’une année à l’autre, les récoltes peuvent varier considérablement ? Une mauvaise récolte, alors le blé sera rare, la farine en hausse et l’émotion gagnera le consommateur et la France tout entière. Les cultivateurs français voient avec effroi les années de disettes succéder aux années d’abondance et gardent en mémoire les famines du XIXe siècle. Ils savent que les belles moissons des régions riches en blé ne suffisent pas à satisfaire la demande, et que chaque année, au blé français, il faut ajouter une part de blé étranger, synonyme de pain cher.
Les Français redoutent d’être à la merci de ce blé mondial qui vient au secours des années difficiles. Cette dépendance vis-à-vis d’autres pays producteurs, c’est la crainte d’une hausse progressive et ininterrompue du cours du blé sur tous les marchés du monde. Les Français ont alors recours à un droit protecteur auquel est soumis le blé à son entrée en France. Mais en période de mauvaises récoltes, l’angoisse des consommateurs appelle à suspendre ce droit, ce qui en 1898 a eu des conséquences désastreuses. Ni le blé ni le pain ne baissèrent et les cultivateurs, désespérés, vendirent à perte.
Ces aléas expliquent qu’en 1911, une France récoltant assez de blé dans ses sillons pour nourrir tous ses enfants et n’être tributaire de personne était devenue un rêve obsessionnel. Si la production de blé avait pratiquement doublé entre 1831 et 1911, ce rendement était toujours insuffisant et la France devait continuer de puiser au réservoir mondial.
Le problème du pain cher
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 271, jan. 2002