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Les enjeux de la transition énergétique en France après la COP21

Quatre mois après la fin de la COP21, quelles sont les avancées et les perspectives de la transition énergétique en France et en Europe ? Futuribles a sollicité huit personnalités pour en débattre : Jacques Theys, Éric Vidalenc, Alain Grandjean, Corinne Lepage, Philippe Bihouix, Nadia Maïzi, Michel Colombier et Marc Roquette. Cliquez ici pour accéder à l’ensemble des contributions.

La COP21 et tous les travaux qu’elle a entraînés, tant dans sa préparation que dans celle des événements qui l’ont précédée et entourée, marqueront probablement notre histoire collective. L’accord de Paris accepté le 10 décembre 2015, au consensus entre 195 pays – un véritable tour de force diplomatique -, en est le point d’orgue. Même s’il est, en tant que tel, insuffisant pour endiguer la dérive climatique, il est une base de départ sérieuse pour une transformation accélérée de nos économies vers un monde « bas-carbone [1] ».

La loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a été votée en France à l’été 2015, après un long parcours (débat national en 2013, dépôt de la loi en août 2014). Ce devrait être le socle de la politique énergétique française des décennies à venir. Les objectifs qu’elle fixe sont cohérents avec l’ambition de l’accord de Paris et avec la nécessité stratégique pour la France de réduire sa dépendance aux énergies fossiles, très majoritairement importées : réduction des émissions de gaz effet de serre, par rapport à 1990, de 40 % en 2030 et de 75 % en 2050 ; baisse, par rapport à 2012, de 30 % de la consommation d’énergie fossile en 2030 ; division, par rapport à 2012, de la consommation d’énergie finale de 20 % en 2030 et de 50 % en 2050 ; part des énergies renouvelables (EnR) croissant à 30 % de la consommation d’énergie finale en 2030. La loi prévoit en outre que le nucléaire ne représentera plus que 50 % de la production électrique en 2025 (contre plus de 75 % aujourd’hui). Ce dernier objectif est issu d’un accord politique et d’une critique du nucléaire fondée sur des arguments sans rapport avec le climat, puisqu’au contraire, l’électricité d’origine nucléaire est bas-carbone [2] .

La LTECV est un édifice imposant (215 articles, 160 dispositions réglementaires prévues). Elle concerne de nombreux secteurs, l’énergie, le bâtiment, le transport, l’économie circulaire et donne de nouvelles responsabilités aux territoires. Ses objectifs sont ambitieux. En particulier, c’est la première fois que la France s’engage à réduire sa consommation finale d’énergie, en outre en valeur absolue (et non par habitant alors que la population va encore croître dans les prochaines décennies), et qu’elle se donne une Stratégie nationale bas-carbone et des budgets carbone, par période de cinq ans. Suivre la trajectoire des émissions de GES est absolument nécessaire pour pouvoir la corriger ; c’est donc un outil clef de la contribution française à la lutte contre le changement climatique.

Malheureusement, on peut douter que les moyens mis en œuvre à ce stade permettent que tous ses objectifs soient atteints. Nous allons l’illustrer en nous limitant à trois points.

La baisse de la consommation d’énergie des logements est le gros morceau en matière d’efficacité énergétique. Il s’agit de rénover une trentaine de millions de logements d’ici 2050. Le premier palier visé (500 000 logements par an) ne sera pas atteint en 2017. Nous sommes au milieu du gué (100 000 logements sociaux et, en ordre de grandeur, l’équivalent de 160 000 logements privés par an font l’objet de rénovations lourdes [3]). La difficulté principale tient au faible retour sur investissement de ces opérations de rénovation énergétique, du fait de prix des énergies insuffisants. La baisse récente du prix du baril de pétrole aggrave bien sûr le problème, notamment pour les trois millions de logement chauffés au fioul encore présents sur le territoire, dont le mode de chauffage devrait être prioritairement remplacé par de la chaleur renouvelable ou des pompes à chaleur. La taxe carbone (à 22 euros la tonne de CO2 en 2016) est loin de compenser la baisse du prix du baril (une baisse de 50 dollars US représentant l’équivalent d’une baisse de 100 euros la tonne de CO2). Il est urgent de la rehausser.

La Stratégie pour le développement de la mobilité propre prévoit que la consommation moyenne des véhicules neufs vendus en 2030 soit de 2 litres pour 100 kilomètres. Or, la consommation unitaire moyenne des véhicules du parc en 2014 est de 6,5 litres pour 100 kilomètres et celle des véhicules neufs en 2013 est de 4,7 litres pour 100 kilomètres. Depuis 1990, on observe des améliorations de l’ordre de 1 % par an pour l’ensemble du parc et de l’ordre de 2,5 % à 3 % par an pour les véhicules neufs. Nous sommes bien loin de la « bonne » trajectoire. Il faut presque tripler le taux historique d’efficacité énergétique pour parvenir à l’objectif de 30 % de baisse sur le parc en 2026, qui nécessite un taux annuel moyen de 2,9 % par an au lieu de 1 % par an [4]. Et pour parvenir à l’objectif des 2 litres pour 100 kilomètres en 2030 pour les véhicules neufs, il faut doubler le taux historique : 5 % par an au lieu de 2,5 % à 3 % par an au cours des dernières années. Il est donc nécessaire d’accélérer considérablement les tendances historiques pour atteindre les objectifs fixés.

Le développement des énergies renouvelables électriques n’est pas non plus sur la trajectoire visée (40 % de la production électrique en 2030). Au rythme actuel d’un gigawatt (GW) d’éolien et 1 GW de solaire par an, sur une base installée de 9 GW d’éolien et 5 GW de solaire, la capacité de production annuelle ne sera augmentée en 10 ans que de 30 TWh (térawattheures). Cela ne suffira pas pour atteindre ces objectifs ni ceux relatifs au nucléaire ; il faudrait multiplier l’effort par au moins quatre pour que la France dispose en 2025 des capacités suffisantes. Cela semble exclu au vu des rythmes actuels de sortie des projets. En outre, le mode de financement retenu à ce jour, via la CSPE (contribution au service public de l’électricité), est contesté et pourrait être remis en cause.

• L’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique ne sera pas non plus atteint en 2025, si l’on exclut son remplacement par des sources fossiles. D’une part parce que les EnR ne se développent pas assez vite. D’autre part parce qu’il faudrait fermer, d’ici 2025, un à deux réacteurs par an [5], 17 à 20 réacteurs selon la Cour des comptes [6]. La programmation de ces fermetures doit être anticipée d’autant que les centrales nucléaires devant faire l’objet d’un « grand carénage » (coûtant de l’ordre d’un à deux milliards d’euros par réacteur), il est crucial de connaître le plan de travail en la matière. Mais ces fermetures pourraient avoir des conséquences sociales et politiques telles qu’un rythme de cet ordre semble peu envisageable en pratique.

Pour conclure cette bien trop brève analyse, nous insisterons sur un point qui nous semble majeur. La transition énergétique met la France face à des besoins d’investissement importants [7] : rénovation énergétique des logements et des bâtiments, renouvellement massif des moyens de production d’énergie, remplacement du parc de véhicules, développement des infrastructures durables (transports et réseaux communicants). Mais elle n’est pas encore assez attractive financièrement pour que des moyens suffisants (privés ou publics) s’y consacrent.

Plusieurs leviers sont à actionner [8].

Il faut augmenter le « signal-prix » carbone, pour améliorer la rentabilité relative des projets bas-carbone. Au niveau national, en augmentant significativement le niveau de la contribution climat-énergie, aujourd’hui à 22 euros la tonne de CO2. Au niveau européen, en créant un dispositif de prix plancher aux environs de 30 euros la tonne, croissant dans le temps. Le niveau du prix du baril pourrait faciliter ces décisions.

La finance doit être orientée vers les investissements bas-carbone. L’article 173 de la LTECV va y contribuer en faisant prendre conscience des risques de transition et des risques physiques liés au climat. Le marché des green bonds (obligations vertes) devrait être soutenu, par exemple par des émissions d’emprunts d’État verts. Les labels verts doivent être renforcés et améliorés. Les actions non conventionnelles de la Banque centrale (le quantitative easing) pourraient être fléchées vers des projets verts.

Enfin, il serait souhaitable de débloquer l’investissement public prisonnier aujourd’hui du carcan des ratios de Maastricht, sous condition qu’il soit vert. Une dépense d’investissement ne devrait pas être confondue avec une dépense courante. Il est temps de marquer cette différence, d’autant que le traité de l’Union européenne le permet [9].

Non seulement la transition énergétique est une nécessité, mais elle est une formidable opportunité en termes d’emplois, d’activité et d’innovation. Elle est à la fois source de mobilisation et de sens pour nos concitoyens mais aussi susceptible de sortir l’économie européenne du marasme dans lequel elle est enfoncée. Il est légitime et rationnel de lui donner plus de moyens financiers.


[1] C’est-à-dire un monde où les émissions de gaz à effet de serre (GES) plafonnent puis décroissent pour atteindre la « neutralité carbone » en 2100, les émissions brutes de GES étant alors toutes stockées (dans la biomasse ou dans le sous-sol).

[2] En effet, un kilowattheure (kWh) d’origine nucléaire émet environ 100 fois moins de CO2 qu’un kWh issu de la combustion du charbon et 40 fois moins s’il est issu de la combustion du gaz. Voir Base Carbone. Documentation des facteurs d’émissions de la Base Carbone, Angers : ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), 2013. URL : http://www.bilans-ges.ademe.fr/static/documents/%5BBase Carbone%5D Documentation générale v11.0.pdf. Consulté le 15 avril 2016.

[3] Voir OPEN (Observatoire permanent de l’amélioration énergétique du logement). Campagne 2014. Résultats 2013, Valbonne : ADEME, 2014. URL : http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/open-campagne-2014-resultats2013-8384.pdf. Consulté le 15 avril 2016. Certains travaux lourds sont faits par étapes, l’enquête cite le chiffre de 265 000, que nous ramenons ici à 160 000 par an pour tenir compte de cet étalement.

[4] Voir l’analyse de Carbone 4, « Pour baisser ses émissions, le transport doit passer la seconde ! », 18 février 2016. URL : http://www.carbone4.com/fr/l_actu_de_carbone_4/pour-baisser-ses-%C3%A9missions-le-transport-doit-passer-la-seconde. Consulté le 15 avril 2016.

[5] Voir Grandjean Alain, « 50 % de nucléaire en France : un objectif réaliste ? », Chroniques de l’anthropocène, 11 janvier 2016. URL : https://alaingrandjean.fr/2016/01/11/50-de-nucleaire-en-france-un-objectif-realiste/. Consulté le 15 avril 2016.

[6] Voir son Rapport public annuel 2016, Paris : Cour des comptes, 2016. URL : https://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Le-rapport-public-annuel-2016. Consulté le 15 avril 2016.

[7] Estimés par I4CE (Institute for Climate Economics) à 36 milliards d’euros en 2013. Voir Hainaut Hadrien, Morel Romain et Cochran Ian, Panorama des financements climat en France – édition 2015, Paris : I4CE, 2015. URL :http://www.i4ce.org/download/panorama-des-financements-climat-edition-2015/. Consulté le 15 avril 2016.

[8] Nous avons évoqué et développé certaines de ces pistes dans Canfin Pascal, Grandjean Alain, Mobiliser les financements pour le climat. Une feuille de route pour financer une économie décarbonée. Rapport de la commission Canfin-Grandjean, Paris : Présidence de la République, 2015. URL : http://www.carbone4.com/sites/default/files/Rapport%20CANFIN%20GRANDJEAN%20FINAL%2018062015.pdf. Consulté le 15 avril 2016.

[9] Voir Artus Bertrand et alii, Réformer le pacte de stabilité et de croissance, Paris : CAE (Conseil d’analyse économique) / La Documentation française, 2004. URL : http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/052.pdf. Consulté le 15 avril 2016.

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