Revue

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Les grands défis

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 57, juil.-août 1982

Dans sa «Vie des Douze Césars», Suétone rapporte, comme un trait particulièrement frappant de la folie de Caligula, l’édification dans la baie de Naples d’un pont de bateaux d’une longueur de 3 600 pas, recouvert de terre et de dalles, qui «donnait à l’ensemble l’aspect de la voie Appienne» (2), et sur lequel circulaient chevaux, chars, troupes et voitures. Là où Suétone, cédant à ce pathologisme maniaque qui fait toute sa lecture de l’histoire, discerne les signes d’une démence indissolublement liée à l’absolu du pouvoir impérial, il est permis de voir, au contraire, un témoignage entre mille de la permanence de l’esprit bâtisseur des Romains, avec ce goût de l’exploit, de la démesure, du risque assumé par esprit de jeu, qui, très souvent, les caractérise. Que signifie, en effet, ce pont jeté sur la mer par une décision instantanée qui est aussi un défi à la nature même des choses ? Certes, c’est en premier lieu la manifestation de la toute puissance de l’empereur, à laquelle il n’est pas jusqu’à la mer qui ne doive céder la place. C’est aussi le profond pragmatisme romain qui, par politique, par esprit de commerce, investit tout l’espace du monde connu d’un réseau routier qui restera inégalé jusqu’à l’époque moderne. Mais surtout, c’est le désir de reculer les barrières de l’impossible, par des moyens dont le choix ressortit moins à des critères d’efficacité technique ou économique qu’à une sorte d’esthétique – ou d’éthique – de la puissance, où finalement c’est la volonté de mettre sur le monde la marque de l’esprit qui l’emporte sur toute autre considération.
#Grands travaux #Histoire
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