Débat passionné, régulièrement à la une des médias, la question du clonage interpelle les esprits depuis déjà plusieurs années, non seulement parmi les chercheurs en biotechnologie, mais aussi (et de plus en plus) chez les philosophes, les sociologues, les psychiatres… C’est que, pour le coup, les enjeux éthiques sont de taille. Grégory Bénichou, professeur d’éthique, nous en dresse un aperçu pour le moins inquiétant, montrant comment l’argument du progrès scientifique tend parfois à masquer des tentations eugénistes.
C’est que la société est en train de développer un nouveau concept : celui de l' » homme jetable « , nous dit-il. Tout comme on a mis en place un quotient intellectuel pour mesurer les compétences intellectuelles des individus, on est en train d’instaurer un quotient génétique selon lequel les individus seront plus ou moins normalement constitués -le risque étant que les parents sélectionnent in vitro leur enfant à naître en fonction de la » qualité » de son quotient génétique. D’autres dérives, du même ordre, existent déjà, selon G. Bénichou, qui nous montre ainsi comment des entreprises vendent du sperme » haute qualité » censé favoriser la naissance d’individus plus performants, ou comment certaines organisations introduisent des évaluations génétiques dans leur mode de recrutement.
Outre les inégalités sociales (et même géopolitiques) en germe dans ce type de pratiques, l’auteur montre aussi que mettre en avant le clonage thérapeutique (fabriquer des » clones sans cerveau » pour servir de banque d’organes de rechange), jugé plus » éthique » que le clonage reproductif, est un faux argument. D’autres techniques, peu médiatisées mais potentiellement aussi efficaces, existent déjà pour » soigner l’homme sans l’avilir « .
La question qu’il pose ici, in fine, est la suivante : le clonage humain est-il vraiment un progrès pour l’homme ? Ne risque-t-il pas de compromettre durablement les principes d’égalité et de liberté, et d’instaurer des degrés d’humanité ? Dans un tel contexte, il ne s’agit plus, selon G. Bénichou, » de défendre le progrès, mais de le justifier « .
L'invention de l'homme jetable
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 293, jan. 2004