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Où va la France ?

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 407, juil.-août 2015

Quel est l’état de la France au milieu de cette année 2015 ? Quels sont les handicaps qu’elle doit surmonter et les atouts dont elle dispose afin que, d’ici 5, 10 ou 20 ans, elle retrouve un véritable dynamisme ? Le moins que l’on puisse dire est que le diagnostic est controversé et les représentations de son avenir différentes, comme en témoignent dans ce numéro les articles de Pierre Bonnaure et de Cécile Désaunay, l’un affirmant que « la France décroche », l’autre que « la transition est en marche ».

Pierre Bonnaure affirme, sur la base d’une riche bibliographie, que depuis plus de 40 ans, « la France décroche ». Point n’est besoin en effet d’être grand clerc pour constater que remontent à cette époque le processus discontinu d’endettement public aussi bien que la hausse du chômage et du sous-emploi, en dépit de rares années d’embellie. Citant Jean Peyrelevade pour souligner que, depuis 1789, elle est demeurée hostile à l’esprit d’entreprise et éprise d’une économie administrée, il reprend le diagnostic de Laurent Cohen-Tanugi : « La France a échoué à se réformer de manière suffisante depuis 20 ans, en raison des carences de sa classe politique et de ses blocages culturels, institutionnels, sociaux et syndicaux. » En refrain, le Medef affirme aujourd’hui que la France est « affaiblie économiquement, socialement et culturellement », notamment en raison de la « surpondération de l’État central », d’une organisation en silo, du « mille-feuille administratif » et de la « prolifération des normes ».

D’autres font remonter le processus de déclin au début des années 2000, voire à la crise mondiale de 2007. Le rapport de Louis Gallois [1] soulignant le « décrochage » de l’industrie française a ainsi été à l’origine d’une abondante littérature sur le sujet, qui est devenu le cheval de bataille de la Fabrique de l’industrie et qui fera l’objet d’une série d’articles à paraître prochainement dans notre revue. Tout cela comporte sans doute une part de vérité, quoique l’on puisse se demander si notre système d’interprétation n’est pas déjà de longue date dépassé lorsque l’on se réfère à la classification de l’économie en trois secteurs – le primaire (agriculture, mines), le secondaire (industrie) et le tertiaire (commerce, services) -, a fortiori à la thèse des trois étapes successives de développement qui devaient nous conduire à la société postindustrielle.

Comme je l’écrivais récemment dans Les Échos [2], l’agriculture et les services ont d’abord connu une vague d’industrialisation intense avec d’un côté l’essor du machinisme agricole, de l’autre le développement d’équipements venant se substituer à des services marchands ou domestiques. S’est greffée ensuite, sur ce processus toujours à l’œuvre, une vague de tertiarisation de l’agriculture et de l’industrie, comme en témoigne la part croissante d’immatériel incorporé dans les produits. Ce double phénomène entraîne des transformations profondes : par exemple, une redistribution des tâches entre producteurs et consommateurs (l’émergence de «?proconsommateurs?»), entre les sphères marchande et non marchande (le client remplaçant à l’aide d’automates les guichetiers d’autrefois). Il explique sans doute aussi que l’économie, en se dématérialisant et en usant de toutes les applications du numérique, s’organise désormais suivant une logique de réseau à l’échelle planétaire, comme le révèlent les analyses sur la chaîne de valeur des industries modernes : les produits résultent de l’assemblage d’une multitude de produits et services intermédiaires venant des quatre coins du monde.

Ces transformations en profondeur ne sont pas terminées car d’autres défis sont encore à relever : celui notamment de l’économie des ressources naturelles et de la préservation de l’écosystème, donc de l’économie circulaire ; celui du mieux-vivre en consommant moins, donc de l’économie de la fonctionnalité, qui sont toutes deux nécessaires pour satisfaire plus de besoins sociaux de manière plus durable ; celui de rétablir des relations de solidarité fondées sur l’échange et de créer des biens communs autrement que par l’assistance… Et ici se profile une transition majeure qui, aux yeux de Cécile Désaunay, est « en marche » au travers d’une multitude d’initiatives qu’elle décrit comme pouvant ouvrir la voie à une société et à une économie collaborative foncièrement nouvelles. Le cap qu’elle esquisse est-il une utopie ?

Elle rappelle que le Medef lui-même reconnaît qu’« il y a en France une énergie considérable qui ne demande qu’à s’exprimer et [que] la majorité des Français sont prêts à s’engager pour donner ce nouvel élan au pays », et que beaucoup d’auteurs s’accordent pour affirmer que « les solutions auxquelles les pouvoirs publics recourent depuis des dizaines d’années ne peuvent plus fonctionner aujourd’hui ». Les uns comme les autres, au sein de l’administration française comme dans nombre d’entreprises, reconnaissent finalement, comme Alexis de Tocqueville, que « la force collective des citoyens sera toujours plus puissante pour produire le bien-être social que l’autorité d’un gouvernement », quelque éclairé et puissant qu’on l’imagine. Un slogan se répand : il faut passer du top-down au bottom-up

Comme l’affirmait le sociologue américain Daniel Bell, l’État est désormais « trop petit pour les grands problèmes et trop grand pour les petits ». Il est aussi moins puissant pour induire les changements qui s’imposent, mais il reste nécessaire pour faciliter l’éclosion et l’essor des initiatives. Au lieu de réglementer à tout-va, il doit désormais plutôt jouer un rôle d’orchestrateur, encourager les innovations qui, sous différentes formes, pourront contribuer au renouveau nécessaire de l’économie et de la société françaises.



[1] Gallois Louis, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, Paris : rapport au Premier ministre, 2012.

[2] « Quelle place pour la France dans la glocalisation ? », Les Échos, 19 mai 2015.

#Changement social #Crise économique #France #Nouvelle économie
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