La croissance des débits d’Internet et l’explosion des puissances des ordinateurs personnels ont permis le développement d’une nouvelle sorte de loisirs numériques, celle des jeux dits » massivement multi-joueurs » : des espaces en ligne sur lesquels des milliers, voire des millions de personnages virtuels, » avatars » des humains réels, interagissent dans un monde tout aussi virtuel.
Si au départ, dans ces jeux, vous aviez plus de chances de vous incarner dans un troll de trois mètres disposant d’une hache et de pouvoirs magiques, le monde virtuel dont on parle le plus aujourd’hui est fort différent. Ainsi, dans Second Life, vous êtes un individu, certes parfois un peu étrange et capable de voler, mais finalement très proche d’un humain » réel » : vous vous y promenez, vous pouvez y gagner et y dépenser un argent virtuel (mais que vous pouvez convertir en vrais dollars US), vous pouvez y acheter des vêtements, une maison, avoir des relations sexuelles ou y faire de la politique. Une deuxième vie donc, l’occasion pour un banquier de devenir disc-jockey, ou pour un fonctionnaire de jouer les exploitants agricoles ou les spéculateurs immobiliers.
Phénomène social à étudier donc, car ces individus semblent très désireux de se créer ainsi une seconde vie, proche de la vie réelle et en même temps très différente, avec des rapports sociaux étranges, désinhibés et théâtraux. Il est possible d’avoir plusieurs avatars dans Second Life et un homme peut y être une femme : l’anonymat y est le meilleur des déguisements. Phénomène techno-social aussi, Second Life brouille encore un peu plus les frontières entre le monde réel et le monde virtuel, symbolise une parfaite désincarnation des lieux et du temps (il ne pleut jamais sur ces îles virtuelles), nouvel indice de l’ubiquité dont on parle tant.
Enfin, et c’est peut-être le plus étonnant, le phénomène économique est intéressant, qu’il soit durable ou non : un modèle économique innovant émerge, qui semble créer des marchés nouveaux dans lesquels s’engouffrent des entreprises et des entrepreneurs audacieux. Serge Soudoplatoff explore dans cet article ces prémices d’un futur possible de l’acte marchand.
Second Life : l'acte marchand de la postmodernité ?
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 330, mai 2007