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Vers de nouvelles spiritualités écologiques ?

L’événement a été largement relayé par les médias : le Vatican a publié en juin dernier une encyclique du pape François, Laudato Si (Loué sois-tu), dédiée à l’écologie, à la sauvegarde de « la maison commune » [1]. Le choix de cette expression n’est pas anodin, puisqu’elle englobe l’humanité, et pas uniquement la communauté catholique, ni même chrétienne. En 2010, Benoît XVI affirmait déjà qu’« il est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant leurs propres besoins d’énergie et améliorant les conditions de son utilisation » [2].

L’encyclique invite les dirigeants des pays développés à opérer un « changement des modes de production, de distribution et de consommation » afin de préserver les ressources naturelles et le climat de la planète. Elle souligne « la gravité et l’urgence d’agir ». L’encyclique présente deux points forts : elle déplace l’interprétation traditionnelle de la Genèse [3] quant à nos relations à la nature et développe l’idée d’une écologie intégrale, nouant les relations que les hommes tissent avec Dieu, les autres êtres vivants et entre eux ; ce faisant, elle place la question des inégalités sociales au cœur de l’écologie, et y discerne même un facteur déterminant de dégradation écologique. Ajoutons que, depuis longtemps, des voix fortes s’élèvent dans le monde protestant contre l’altération de nos conditions de vie sur Terre.

La déclaration du pape François a reçu de nombreux soutiens dans le monde catholique, et au-delà, et a incité d’autres responsables religieux à prendre position sur les enjeux environnementaux, à quelques mois de la COP21. En juillet, le responsable de l’Église d’Angleterre a fait voter une motion invitant les dirigeants de la planète à se mettre d’accord lors de la COP21 sur des actions de long terme pour réduire le changement climatique [4].

En août a été organisé l’International Islamic Climate Change Symposium, à l’initiative de la Fondation islamique pour l’écologie et les sciences environnementales, la coalition interconfessionnelle Greenfaith, l’ONG (organisation non gouvernementale) Islamic Relief Worldwide, mais aussi le Climate Action Network, un réseau international d’ONG environnementales. Cet événement a réuni des experts de l’islam, des responsables politiques et des universitaires musulmans de 22 pays. Il a donné lieu à l’adoption par 60 organisations et personnalités (dont trois grands muftis) d’une « déclaration islamique sur le changement climatique mondial [5] ».

Le texte s’alarme des risques liés au changement climatique, en rappelant les conclusions du dernier rapport du GIEC [6]. Il condamne « la quête effrénée de croissance économique et de consommation », qui risque de « mettre un terme à la vie telle que nous la connaissons » et d’entraîner la perte du « bel équilibre de la Terre ». Il indique que « courir après la croissance économique illimitée sur une planète finie et déjà surchargée n’est pas viable. La croissance doit être poursuivie à bon escient et avec modération. »

Les signataires considèrent qu’il faut tout faire pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C d’ici 2100, voire 1,5 °C. Ils recommandent pour cela de se diriger vers une économie verte et vers « 100 % d’énergies renouvelables ». Citations du Coran à l’appui, le texte interpelle directement les dirigeants politiques et les entreprises.

Cette déclaration indique que l’islam traditionnel, non radicalisé, ni salafiste ni wahabite notamment, peut encore faire entendre des messages forts à la communauté internationale.

Elle devra être relayée par les instances musulmanes nationales pour avoir un véritable impact. Le président du Conseil musulman indonésien (Indonesian Uleman Council) s’est ainsi engagé à mettre en œuvre toutes les recommandations du texte [7]. Mais, jusqu’à présent, parmi les pays de confession musulmane, seul le Maroc a publié sa contribution à la lutte contre le changement climatique en préparation de la COP21 (en juin).

Fin août, 400 rabbins américains ont signé une « lettre rabbinique sur le changement climatique [8] ». Elle s’adresse « au peuple juif, à toutes les communautés spirituelles et au monde », qui sont invités, à partir de citations de la Torah, à mettre en œuvre une nouvelle « justice éco-sociale » pour « guérir la planète ».

Signalons aussi qu’en mai, une déclaration bouddhiste sur le changement climatique a été publiée, dont les signataires s’engagent à « accepter la responsabilité individuelle et collective de faire tout ce qui sera nécessaire » pour limiter le changement climatique [9].

Un mouvement global s’observe donc dans les Églises et autres traditions religieuses sur la question de l’impact environnemental de l’homme. L’Église catholique, en particulier, a compris que la vague écologiste va de pair avec une nouvelle contestation de la modernité, qui accorde une place inédite à la spiritualité. Ces déclarations semblent répondre à un mouvement de fond de sensibilités différentes qui convergent vers le refus du consumérisme et de la croyance dans la toute-puissance des technologies, deux dimensions structurantes des sociétés occidentales au XXe siècle. Elles s’opposent donc à la fois aux mouvements transhumanistes, qui considèrent que l’homme doit chercher par tous les moyens à accroître sa puissance et à étendre son empire sur la nature, et au courant écomoderniste, qui estime que le savoir et la technologie permettront à eux seuls de résoudre les défis environnementaux [10].

Il s’agit au contraire d’imaginer une troisième voie, qui puisse à la fois remettre la spiritualité religieuse au cœur des destins individuels et collectifs, et replacer l’homme dans la « maison commune », dont la société de consommation l’avait éloigné, afin de renouer des relations harmonieuses avec le vivant et la Terre.

Ces déclarations pourraient permettre à la spiritualité de trouver sa place dans les actions de lutte contre le changement climatique. Elles rappellent qu’historiquement, les sociétés humaines ont toujours eu un objectif d’accomplissement individuel et collectif, et qu’il est aujourd’hui temps d’en inventer un nouveau qui soit compatible avec les limites physiques de la planète et notre quête de sens.



[2] Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 9 ; cité dans Laudato Si, op. cit.

[3] Voir notamment Bourg Dominique, « Encyclique du pape François », in Bourg Dominique et Papaux Alain (sous la dir. de), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris : Presses universitaires de France, 2015.

[4] « Urgent Action Needed on Climate Change Urges Synod », Church of England, 13 juillet 2015. URL : https://www.churchofengland.org/media-centre/news/2015/07/urgent-action-needed-on-climate-change-urges-synod.aspx

[5] Site Internet du Symposium : http://islamicclimatedeclaration.org/

[6] GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Cinquième rapport d’évaluation, Genève : GIEC, 2014. URL : https://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml

[7] Nelsen Arthur, « Islamic Leaders Issue Bold Call for Rapid Phase out of Fossil Fuels », The Guardian, 18 août 2015. URL : http://www.theguardian.com/environment/2015/aug/18/islamic-leaders-issue-bold-call-rapid-phase-out-fossil-fuels

[8] « A Rabbinic Letter on the Climate Crisis », 31 août 2015. URL : https://theshalomcenter.org/torah-pope-crisis-inspire-400-rabbis-call-vigorous-climate-action

[9] « A Buddhist Declaration on Climate Change », 2015. URL : http://www.ecobuddhism.org/bcp/all_content/buddhist_declaration/

[10] Voir le site du mouvement écomoderniste : http://www.ecomodernism.org/francais/

#Écologie #Religion
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