Si » la modernité » devait se traduire par l’essor de la raison au détriment des croyances religieuses, par la grande victoire de l’individualisme à l’encontre des institutions incarnant des normes transcendant les consciences individuelles, alors cette étape se trouve aujourd’hui révolue. Certes, l’Église n’est plus ce qu’elle était mais son déclin n’a point entraîné celui des croyances. Au contraire, celles-ci prolifèrent et se diversifient.
C’est que, nous dit Gérard Donnadieu, nous sommes entrés dans » l’ultramodernité » qui est marquée, d’une part, par le doute vis-à-vis du progrès, de la science, de la religion comme système et, corrélativement, par l’essor de croyances de toutes sortes ; d’autre part, par l’individualisme, donc la remise en cause de tous les magistères, et la recherche, chacun pour soi, des croyances permettant d’assouvir son plaisir et son intérêt.
Partant de ce constat, l’auteur s’attache à décrire » le nouveau paysage du croire » à l’aide de la métaphore du marché. Ainsi montre-t-il d’abord que la demande, loin de se tarir, se fragmente, se diversifie suivant que les individus recherchent un bienfait matériel, social, moral, psychologique ou spirituel. Du même coup, nous assistons à une différenciation de l’offre, au déclin du monopole que détenait l’Église, à une floraison de pratiques éminemment diverses et plus ou moins structurées. Dans une telle situation de concurrence, seules des stratégies de créneaux et de niches peuvent s’imposer, offrant à de nouveaux entrepreneurs (guérisseurs, marabouts, voyantes…) de nouvelles opportunités.
Dans ce marché hautement concurrentiel des croyances, quelles sont donc les stratégies que peuvent adopter les principaux acteurs ? Gérard Donnadieu, en conclusion, esquisse trois scénarios :
– Le premier est celui de » l’obsolescence « , obsolescence des produits et des institutions incarnant hier les grandes religions, cette perspective de repli n’allant pas sans entraîner des réactions pouvant prendre la forme d’un » raidissement identitaire » ou d’une recherche d’adaptation.
– Le deuxième scénario est celui de » la reconversion illuministe » qui peut être très productive à court terme mais très risquée à plus longue échéance.
– Le troisième scénario est celui de la » segmentation et de la diversification » qui, comme on le voit bien dans l’industrie, consiste à développer une stratégie d’offre beaucoup plus diversifiée répondant à chaque segment de clientèle…
Bref, conclut l’auteur, si l’analogie avec le marché a ses limites, il n’en reste pas moins que les lois qui le régissent s’imposent aujourd’hui aux Églises si elles veulent atteindre leurs fins.
Vers un marché du religieux ?
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 260, jan. 2001