Pendant qu’en Europe, plusieurs pays, dont la France, voyant dans le clonage humain une transgression fondamentale, s’interrogent, hésitent et consultent leurs comités d’éthique, les États-Unis vont de l’avant sans trop d’états d’âme. C’est que, manifestement, le rapport à l’innovation n’est pas le même dans l’Ancien et le Nouveau Monde. Depuis la fin de la dernière « frontière » – l’occupation de tout le territoire de l’Atlantique au Pacifique -, les États-Unis ont constamment traité de l’innovation technique comme d’une nouvelle frontière, et la science elle-même est devenue, suivant le titre du rapport commandé par Roosevelt à son conseiller scientifique, Vannevar Bush, » la frontière sans limites « . Rien d’étonnant à ce que la marchandisation du clone y soit déjà objet d’analyse économique.
On peut lire au second degré, c’est-à-dire en les soupçonnant d’être un canular, ces deux articles publiés par la très sérieuse United Press International, sous la signature de son non moins sérieux éditeur économique. Il n’empêche que s’ils appartiennent au Meilleur des mondes, c’est bien pour nous présenter les espoirs que soulève l’économie de l’eugénisme.
Des trois cas envisagés, clonage humain, manipulation de l’embryon en vue de parfaire ou d’éliminer telle ou telle caractéristique, et finalement production entièrement artificielle de l’être humain, aucun n’est désormais conçu comme impossible à l’horizon de cinq à dix années, mais le marché que chacun représente n’est pas porteur des mêmes promesses de rendement et de productivité. Le coût du clonage humain est sans doute prohibitif, bien qu’il faille tenir compte, comme le souligne Martin Hutchinson, de la vanité humaine, un atout significatif en termes de marketing. En revanche, manipuler l’embryon humain pour détecter et éviter telle maladie héréditaire, accroître l’intelligence, les aptitudes athlétiques ou la beauté du futur enfant, ouvre un marché voué à un nombre de consommateurs beaucoup plus grand, avec de nombreuses retombées économiques. Au XVIe siècle, les indulgences permettaient de se payer une âme et le salut. Le business du génie génétique permettra de se payer un corps avec les attributs et les fantasmes de la perfection, de la santé éternelle ou de l’immortalité : clone-boom, n’est-ce pas là la vraie nouvelle économie ?
Le boom de la gène-économie. Le marché des clones, ou l'avènement de l'homme-dieu
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 264, mai 2001