Gabriel Fragnière livre ici sa conception des transformations culturelles en cours en Europe : les Européens seraient sur le point de passer à un véritable multiculturalisme, synonyme de l’émergence » d’une nouvelle forme d’humanisme qui fait de la diversité le fondement de ce qui [les] rassemble « .
Avant d’en arriver à cette conclusion, l’auteur précise ce qu’il entend par culture : » l’ensemble des valeurs, croyances, attitudes […] spécifiques à une société […] qui contribuent à faire naître le sentiment identitaire d’appartenance « . Il montre comment nos sociétés ont évolué vers le pluriculturalisme, qu’il définit comme une tendance anticentralisatrice s’opposant à un monoculturalisme imposé et affirmant la pluralité des cultures individuelles. Introduisant un degré plus grand de décentralisation, donc de démocratie, et ouvrant la voie au respect des autres, le pluriculturalisme est ainsi une étape incontournable vers le multiculturalisme.
Mais celui-ci ne se contente pas de la juxtaposition de cultures différentes. Il constitue » une expérience sociale et une organisation nouvelle de la société, […] un état d’équilibre entre les différences qui évite d’une part la désintégration sociale, et d’autre part la fusion dans la négation des différences elles-mêmes « . Il renforce l’unité de la société globale en distinguant nettement l’identité de l’organisation sociale et l’identification culturelle.
Gabriel Fragnière illustre sa démonstration à partir des fonctions culturelles de la langue (entendue comme » langage culturel « ) : communication, expression, socialisation et identification. C’est la façon dont celles-ci s’articulent qui indique l’état culturel d’une entité. Il y a multiculturalisme quand leurs relations ne sont pas univoques et quand l’unité d’ensemble de la société n’est pas mise en cause par la diversité constatée. En ce sens, selon l’auteur, l’Europe est bien entrée dans une ère multiculturelle.
Le traité de Maastricht l’a confirmé en établissant une » citoyenneté européenne » qui fait voler en éclats la traditionnelle confusion (en raison de leur utilisation politique) des notions d’identité, de nationalité et de citoyenneté. Il faut alors s’attendre à une multiplication des revendications identitaires et minoritaires, réclamant un droit à l’identité dans leur cadre national, tout en invoquant une citoyenneté dépassant ce cadre, ainsi que des droits que les États ne maîtriseront plus.
Multiculturalisme et respect mutuel. Un défi européen
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 278, sept. 2002