Les livres consacrés à l’antiaméricanisme en France se multiplient, et il est vrai que dans les relations passionnelles entre la France et les États-Unis, le dépit et le ressentiment du faible au fort n’ont cessé de donner lieu à des critiques où le dénigrement a longtemps était fait d’ignorance plus encore que d’arrogance. Il importe aujourd’hui de » relativiser cet antiaméricanisme » : d’une part, parce que les Français (en particulier les jeunes) ont appris à voyager à travers les États-Unis et ont donc moins d’idées reçues que leurs aînés ; d’autre part et surtout parce que c’est aller vite en besogne que de dénoncer comme antiaméricaine toute analyse critique de la politique étrangère des États-Unis. Une critique d’autant plus légitime qu’il existe, parmi les républicains et les démocrates américains, des analystes qui se défendent de prendre pour argent comptant les déclarations du président Bush Jr dans sa croisade contre » les forces du mal » incarnées en particulier par l’Irak de Saddam Hussein.
Encore faut-il connaître et comprendre les racines profondes de ce qui définit l’unilatéralisme aujourd’hui si agressivement revendiqué par la nouvelle administration américaine et, au-delà de ses sources historiques et culturelles, le poids que la doctrine jacksonienne a toujours plus ou moins intensément exercé dans la définition et la mise en oeuvre de la politique étrangère des États-Unis. Certes, si imperium il y a, rappelle Jean-Jacques Salomon, il tient d’abord aux carences de l’Europe.
En présentant un texte de Walter Russel Mead, il résume certains des passages qui n’ont pu être publiés, faute de place, et souligne combien la tentation de l’unilatéralisme renvoie à des pratiques et des valeurs profondément inscrites dans la mentalité populaire : code de l’honneur et conviction religieuse dans la capacité américaine à toujours relever ses défis. L’image du cow-boy, champion solitaire du bien contre Oussama ben Laden ou Saddam Hussein, reflète toute la mythologie dont les westerns se sont inspirés et que certains commentateurs américains n’hésitent pas à invoquer pour dénoncer les réserves et les hésitations, sinon la pente munichoise, de leurs alliés européens.
Ce texte est d’autant plus révélateur qu’il a été publié plus d’un an avant les attentats du 11 septembre 2001. Comme pour Pearl Harbor, ce n’est pas tant le nombre de victimes qui explique la réaction jacksonienne des États-Unis que l’intensité du haut-le-coeur provoqué par le viol du sanctuaire. Et c’est éclairer tout à la fois une autre vision du monde que celle qui prévalut à Washington sous la guerre froide, une vision qui se passe du soutien des alliés, tourne le dos aux alliances de naguère, récuse toute solidarité internationale et entend régler seule les comptes avec les adversaires terroristes, pour ne plus défendre que les intérêts propres des États-Unis. Dans cette véritable croisade, on perçoit l’odeur du pétrole, comme le suggère W.R. Mead, bien plus que la compassion pour les victimes de Saddam Hussein. Assurément, les deux rives de l’Atlantique ne sont plus sur la même longueur d’ondes. Mais si son article avait été écrit par un Français, ne l’aurait-on pas dénoncé comme une pièce de plus dans le dossier de l’antiaméricanisme ?
De la politique étrangère américaine. Buffalo Bill contre Oussama ben Laden
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 280, nov. 2002