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Le casse-tête des retraites

Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 423, mars-avr. 2018

Je viens de relire l’excellent texte d’Alfred Sauvy intitulé « Démographie et refus de voir [1] », qui dénonce d’une manière fort intéressante notre propension à ignorer ce qui nous dérange et montre comment nous cherchons à nous rassurer, par exemple en accordant aux « cycles imaginaires » une confiance excessive. Et parmi les phénomènes auxquels ses contemporains étaient, à ses yeux, aveugles, il citait le vieillissement démographique alors, écrivait-il, que « c’est le phénomène le plus sûr, le plus ancien, le plus facile à mesurer » et, dans une certaine mesure, à prévoir.

Ce vieillissement, appréhendé non en termes biologiques (les sexagénaires d’aujourd’hui étant en bien meilleure santé que ceux d’autrefois) mais à l’aune de la proportion de personnes âgées de 60-65 ans ou plus dans la population totale, est en effet la conséquence directe de l’évolution de la fécondité et de celle de l’espérance de vie. Est-il lui-même un problème ? L’on pourrait en débattre. En revanche, ce qui pose indéniablement problème, c’est l’avenir des systèmes de retraite français. Historiquement fondés sur le principe de la répartition (du moins pour le régime de base et les régimes complémentaires), ceux-ci se sont fort bien portés à l’époque dite des Trente Glorieuses, caractérisée par une forte croissance économique et une situation de plein emploi, donc lorsque le nombre d’actifs occupés était important et les salaires en augmentation régulière. Ce n’est plus le cas depuis presque 40 ans ; l’avenir du système est gravement menacé.

Ainsi Michel Rocard écrivait-il en 1991, dans sa préface au Livre blanc sur les retraites [2] : « Ne rien faire aujourd’hui conduirait à terme à la condamnation de la répartition et à la rupture des solidarités essentielles. » Et il ajoutait que « ceux qui, pour des gains politiques à courte vue, croiraient flatter l’opinion en niant le problème, programmeraient sûrement une guerre des générations » (souligné par moi) ou – oserai-je ajouter – que ceux parlant vrai sur le sujet seraient rapidement écartés de la scène comme il le fut lui-même…

En quoi réside le problème ? Essentiellement dans le déséquilibre croissant entre le nombre d’actifs occupés et cotisants, et celui des inactifs allocataires composés notamment de retraités dont les effectifs s’accroissent rapidement sous l’effet de l’arrivée à l’âge fatidique de la retraite des générations nombreuses du baby-boom. Ensuite dans le déséquilibre entre les recettes provenant normalement de cotisations pesant sur les salaires (qui n’augmentent plus au même rythme qu’auparavant) et les dépenses déterminées par les droits à pension acquis par les retraités durant leur vie active. Bien entendu, le problème est un peu plus compliqué que cela vu le nombre de régimes de retraite différents, l’absence d’harmonisation entre eux, le principe de compensation entre régimes, etc.

Voici presque 20 ans était publié un rapport sur « l’avenir de nos retraites [3] », élaboré alors que la France enregistrait un regain de croissance économique et une nette embellie en termes de création d’emplois (1997-2000) qui donnèrent à ses auteurs l’illusion qu’elle était à l’aube d’une nouvelle ère de prospérité durable. La conclusion qui en résultait, comme celles qui résultent des travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR), était que des réformes paramétriques des régimes de retraite seraient nécessaires et suffisantes. De fait, il y eut des réformes, notamment en 1993, 2003, 2008, 2010, comme le montre très bien Arnauld d’Yvoire dans son article « Radioscopie des retraites en France » (p. 59-78).

Mais non, ces réformes ne furent pas suffisantes et elles n’ont aucune chance de l’être à l’avenir, même si l’on observe actuellement une nouvelle embellie économique (sans bien entendu être capable d’en prévoir la durée) et alors que la France souffre de manière persistante d’un sous-emploi important. Un sous-emploi qui rend hélas fort improbable un relèvement très significatif de l’âge de cessation d’activité professionnelle (a fortiori un abaissement de l’âge d’entrée en activité professionnelle des jeunes).

Le président Emmanuel Macron a affirmé, avant même d’être élu, sa volonté de mettre en place un régime de retraite universel (donc remplaçant les 37 régimes spéciaux actuels) fonctionnant par points. À plusieurs reprises, il a réaffirmé cet objectif en indiquant que le texte de la réforme devrait être finalisé en 2019, avec une entrée en vigueur qui pourrait s’étaler sur plusieurs années. Dans cette phase préalable qui aura normalement été marquée par la réforme du code du travail, de l’assurance chômage et de l’apprentissage, mais aussi de la contribution sociale généralisée (CSG) notamment sur les retraites, nous avons décidé de publier, durant l’année 2018, plusieurs textes en guise de contribution au débat public qui doit logiquement précéder l’élaboration du projet gouvernemental. Ainsi en est-il de l’article de Jacques Bichot qui d’entrée de jeu plaide pour une « réforme choc » (p. 79-96).

Le dossier est entre les mains de Jean-Paul Delevoye, Haut Commissaire à la réforme des retraites. Je ne doute pas que celui-ci sera attentif aux diverses propositions qui pourront lui être adressées, sachant que nous sommes en l’espèce confrontés à un problème structurel ne pouvant sans doute être résolu que dans la durée, en même temps qu’à un problème financier immédiat, celui du financement courant des pensions et du déficit cumulé.



[1]. Repris dans Dumont Gérard-François (sous la dir. de), L’Enjeu démographique, Paris : éditions de l’Association pour la recherche et l’information démographiques, 1981.

[2]. Commissariat général du Plan, Livre blanc sur les retraites. Garantir dans l’équité les retraites de demain, Paris : La documentation Française, 1991.

[3]. Charpin Jean-Michel (rapporteur), L’Avenir de nos retraites, Paris : La documentation Française, 1999.

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