Les élections municipales qui se sont déroulées les 23 et 29 mars en France ont sévèrement sanctionné le gouvernement, récemment qualifié de social-démocrate, mis en place au lendemain de l’élection du président François Hollande. Le taux d’abstention a atteint un niveau record (63,70 %), ceci témoignant, une fois de plus du discrédit dont souffrent les partis politiques [1].
Cent cinquante-cinq villes de plus de 9 000 habitants, dont une soixantaine de plus de 30 000, ont basculé de gauche à droite tandis que deux seulement basculaient en sens inverse. Ces résultats ne sont guère surprenants tant la désillusion est grande, que ce soit sur le registre de l’emploi (première préoccupation des Français à laquelle prétendait répondre la promesse du président de la République d’inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année 2013), sur celui de la croissance économique ou celui de la réduction des dépenses publiques qui, l’an passé, ont encore battu des records. Ainsi, à force de promettre tout et n’importe quoi, qu’il s’agisse de réduire le chômage ou d’aller « chercher la croissance avec les dents » selon l’expression de Nicolas Sarkozy, les vainqueurs d’un scrutin se condamnent-ils à perdre le suivant.
Ce discrédit dont souffrent les gouvernants, qui n’est que le juste revers des illusions qu’ils s’obstinent à vouloir entretenir, est grave, y compris pour la démocratie?: 42?% des Français s’intéressent peu ou pas du tout à la politique et 69 % d’entre eux estimaient, en décembre 2013, que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, contre 48 % en décembre 2009 [2].
En témoigne la percée, lors de ces dernières municipales, des listes d’extrême droite qui, avec plus de 1 500 conseillers municipaux et 11 mairies, est à son plus haut niveau depuis 1995. Si le poids de ce parti reste marginal en voix (moins de 10?%), cela n’en reflète pas moins, selon tous les analystes, l’enracinement du Front national dans le paysage politique français, celui-ci tirant profit de la crise économique et sociale, de l’incurie des gouvernements successifs et du scepticisme croissant de la population à l’égard de l’Union européenne.
Dans de nombreux pays européens comme en France, l’extrême droite progresse. En atteste par exemple son succès, 10 jours plus tôt, lors des élections municipales aux Pays-Bas et, plus généralement, sa progression au cours des dernières années, notamment en Autriche, en Grèce, en Hongrie et en Lettonie. Elle prospère alors que les pays s’enlisent dans la crise, que d’une manière générale en Europe, le nombre des eurosceptiques progresse (selon Eurobaromètre, seuls 30?% d’Européens « soutiennent » l’Union européenne) et que les gouvernements nationaux font des instances communautaires leur bouc émissaire.
Ce phénomène ne peut nous laisser indifférents alors que les élections européennes auront lieu fin mai. Ainsi n’est-il pas surprenant que le président de la Commission, José Manuel Barroso, et le président du Parlement européen, Martin Schulz, s’en inquiètent, même si le mode de scrutin des élections européennes et les divergences entre les partis d’extrême droite peuvent éviter qu’ils constituent un groupe puissant d’eurodéputés.
Comme le rappelait récemment Jean-François Drevet dans sa Tribune européenne [3], la montée des courants populistes, y compris dans des pays où les forces d’extrême droite sont historiquement absentes ou peu représentées, constitue une réelle menace pour la démocratie et la construction européenne elle-même.
Outre ces courants populistes, les « souverainistes » et les « eurosceptiques », la menace vient aussi des États membres, comme la France, qui laissent entendre qu’ils peuvent durablement se soustraire à leurs engagements européens. Le risque est donc grand, alors que nous avons besoin plus que jamais d’une Europe forte, de la voir se déliter.
Je n’insisterai pas ici sur les faiblesses du couple franco-allemand qui était supposé être la locomotive du projet européen, tant le contraste entre ces deux pays est aujourd’hui – sans préjuger de l’avenir – saisissant. En témoignent leurs performances respectives en matière de croissance économique, de finances publiques ou d’emploi, ou encore la manière très pragmatique selon laquelle le gouvernement de coalition allemand a adopté un salaire minimum alors que la France reste campée sur des positions de principe.
Cela ne signifie pas que tout va bien outre-Rhin alors que l’on voit les « ratés du tournant énergétique [4] », eux-mêmes sonnant le glas d’une politique européenne de l’énergie, mais cela révèle combien l’Europe est menacée par l’égoïsme de ses États membres alors qu’elle est si nécessaire au plan tant intérieur qu’extérieur. Nous l’avons hélas encore constaté tout récemment à propos des événements en Ukraine : l’Europe est incapable aujourd’hui de peser réellement comme elle devrait en avoir l’ambition dans les affaires internationales.
Oserai-je dire, alors que Jacques Delors militait en 2003 pour une Europe « fondée sur la compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit » (voir p. 64), que l’Europe est aujourd’hui plutôt caractérisée par une politique du chacun pour soi qui risque de se révéler à terme désastreuse pour tous ?
[1]. Selon le dernier Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF (décembre 2013), la confiance des Français dans les partis politiques est tombée à 11 %. URL : http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/les-resultats-vague-5-janvier-2014/. Consulté le 8 avril 2014.
[2]. Ibidem.
[3]. « L’émergence d’un néopopulisme européen », Futuribles, n° 398, janvier-février 2014, p. 103-109.
[4]. Voir Les Échos, 1er avril 2014.