L’économiste britannique William Stanley Jevons (1835-1882) a été qualifié par Schumpeter, dans sa monumentale Histoire de l’analyse économique, comme étant » un des économistes les plus authentiquement originaux qui aient existé « . Il ne fait pourtant aucune mention du livre de Jevons The Coal Question, paru en 1865, un livre alarmiste évoquant la possibilité d’un épuisement à la longue inévitable des ressources charbonnières du Royaume-Uni, qui amena le gouvernement britannique à créer une commission d’enquête sur ce problème (sa conclusion fut que tout serait épuisé en 1988…).
Raisonnant en économiste et non en géologue ou en ingénieur, Jevons combat l’idée que » nos gisements de houille seront complètement vidés et nettoyés de fond en comble comme autant de caves à charbon « . À son avis, le vrai problème résidait plutôt dans la disparition progressive de l’avantage comparatif dont son pays disposait vis-à-vis de ses concurrents commerciaux grâce à l’abondance et au relatif bon marché de ses réserves de charbon. Il en tire une conclusion déprimante qu’il énonce sous forme du dilemme suivant : » Nous devons faire un choix capital entre une grandeur éphémère et une médiocrité prolongée. «
Cette conclusion désenchantée appelle deux remarques. La première, d’ordre anecdotique, est qu’elle a été formulée dans des termes étonnamment proches de ceux qu’allait utiliser en 1877 l’économiste Augustin Cournot dans son livre Revue sommaire des doctrines économiques, où il parle du dilemme des gouvernements qui, face à la perspective d’un épuisement des gisements de houille » avant cinq ou six siècles « , auront à se demander » s’il vaut mieux que le foyer de la civilisation soit plus longtemps entretenu ou qu’il brûle plus vite avec une ardeur plus intense « . L’autre remarque, plus sérieuse, concerne l’attitude curieusement défaitiste de Jevons devant la disparition de l’avantage comparatif que constitue ce renchérissement à long terme du charbon – comme si à lui seul il suffisait à marquer la fin de l’hégémonie britannique…
Sur la question du charbon (1865)
Cet article fait partie de la revue Futuribles n° 305, fév. 2005