Ce numéro de la revue Futuribles comporte un dossier spécial sur les robots : non les créatures artificielles imaginées de longue date par les auteurs de science-fiction, mais ceux qui désormais se répandent dans tous les domaines. Non plus les robots dits des trois D (« dull, dirty, dumb »), qui étaient de simples automates supposés soulager les hommes de travaux ennuyeux, répétitifs et physiquement éprouvants ; mais ceux qui ont désormais la capacité d’intervenir dans toutes les activités humaines, d’assister les personnes, de les soigner, d’augmenter leurs capacités, peut-être demain de les transformer, sinon de les remplacer.
Depuis l’introduction du premier robot industriel dans une usine de General Motors, les robots se sont en effet répandus partout, explique Pierre-Yves Oudeyer : dans les usines et dans les champs, au fond des mers et dans l’espace, dans les jardins et les salons. Ils ont pris une importance économique grandissante d’abord dans l’industrie, principalement au Japon, en Corée du Sud, en Allemagne, bien davantage qu’en France où les industriels se sont laissé distancer, se privant ainsi d’un puissant facteur de compétitivité.
Mais surtout, ils ont fait l’objet de progrès scientifiques et techniques considérables les dotant de capteurs, de dispositifs puissants de traitement d’informations, de pilotage automatique et donc de capacité d’adaptation, sinon d’intelligence et de sensibilité, leur permettant d’assurer une multitude de fonctions. Leurs propriétés, leurs dimensions, leurs formes plus ou moins anthropomorphiques, ont tellement évolué que désormais de nouveaux robots sont en plein essor : les robots éducatifs, ludiques, d’accompagnement social, d’assistance à la mobilité, d’exploration du corps humain, de chirurgie, voire des prothèses autoguidées…
Pierre-Yves Oudeyer rappelle ainsi nombre d’applications actuelles et potentielles de ces nouveaux robots : ceux déjà embarqués dans les automobiles et qui demain, au-delà de l’assistance à la conduite, conduiront eux-mêmes leurs passagers ; ceux microscopiques, dotés d’une précision extrême, qui permettent d’aller explorer le corps humain et d’effectuer des actes chirurgicaux moins invasifs et dangereux ; ceux encore qui, reliés aux muscles, voire demain au cerveau, sont capables de remplacer certaines parties du corps humain, d’en démultiplier la force, de faire office d’exosquelettes.
Ces nouveaux robots, penseront certains, n’en restent pas moins que des machines aux comportements stéréotypés et insensibles aux émotions. Et pourtant, comme le révèle ce dossier spécial, certains chercheurs travaillent désormais au développement d’une robotique d’assistance à la personne, permettant par exemple aux enfants atteints d’autisme de sortir de leurs comportements répétitifs, voire d’interagir avec d’autres humains. D’autres envisagent déjà d’utiliser des « essaims de nanorobots » d’une intelligence comportementale telle qu’ils seraient capables d’effectuer des tâches de plus en plus complexes, peut-être de se répliquer, voire de s’affranchir de toute maîtrise humaine.
Si nous n’en sommes pas encore là, Charles Fattal et Michel Héry rendent compte ici du développement et des espoirs fondés sur les robots d’assistance physique qui, au-delà de l’aide qu’ils peuvent apporter aux hommes dans leurs interventions en milieu hostile ou dans les activités exigeant des tâches pénibles, voire à terme génératrices de lourdes pathologies, pourraient assurer une fonction d’assistance domestique. Des robots culinaires, aspirateurs ou tondeuses sont déjà disponibles sur le marché, tout comme des structures permettant de compenser des problèmes physiques, par recours à des prothèses ou en appui à des fonctions physiques défaillantes. Mais Charles Fattal va plus loin en montrant combien, face aux défis du vieillissement démographique et du grand âge, au manque de main-d’œuvre qualifiée, des robots compagnons pourraient se substituer aux êtres humains dans des fonctions d’aide, d’accompagnement, d’écoute, sinon de soutien moral, affectif, psychologique.
Ceux de nos contemporains qui accompagnent des personnes âgées dépendantes pousseront de hauts cris, se réclamant d’une humanité à nulle autre assimilable, s’érigeront contre ces robots destructeurs d’emplois, sans cœur ni âme, omettant toutefois peut-être au passage le désir de personnes âgées d’être autonomes et non dépendantes d’autrui, de ne point peser sur les générations plus jeunes éventuellement confrontées aux affres du monde du travail et à l’éducation de leurs enfants. Cruel dilemme de nos sociétés vieillissantes se réclamant d’un devoir de solidarité envers leurs aînés, fût-ce au détriment de leurs puînés et des générations à venir !
Le choix n’est pas simple et l’alternative ici esquissée un peu brutale. Le problème est autrement plus complexe que ne semble l’imaginer le gouvernement qui entend faire, bien qu’un peu tard, de la silver economy un des moteurs essentiels d’une économie qui serait mue par une demande croissante de services liés aux besoins du grand âge, sans préjuger d’ailleurs de la solvabilité de cette demande, des revenus des personnes âgées ni des capacités de financement public d’une telle politique.
Au-delà, sont ici posées la question fondamentale des progrès de la science et de la technologie, de ses vertus et de ses limites, de l’acceptabilité sociale de ces techniques et, sur un plan éthique et philosophique, celle des limites, souvent évoquée dans Futuribles [1] : « les hommes sont-ils voués à disparaître, […] à être « augmentés » grâce aux implants et prothèses destinés à booster leurs facultés, ou à être remplacés par une espèce inédite, le « posthumain », artificiellement produite grâce aux progrès des technosciences ? »
[1] Voir notamment Besnier Jean-Michel, « L’humanité : une expérience ratée ? Versions du transhumanisme », et Marck Adrien et alii, « Les piliers d’un nouvel humanisme. Plafonds ou transition, quel à-venir à la crise ? », Futuribles, n° 397, novembre-décembre 2013, respectivement p. 5-20 et p. 21-34.