La coupe du monde de football a débuté le 12 juin dernier au Brésil, dans le stade de São Paulo, dans un contexte tendu. Les mouvements sociaux se sont en effet multipliés ces derniers mois pour manifester contre les dépenses extravagantes engagées pour cette compétition (les investissements devaient atteindre près de 26 milliards de réals brésiliens, soit environ 8,5 milliards d’euros), à l’heure où le Brésil aurait eu tant besoin de cet argent pour améliorer les services publics et satisfaire les besoins de base d’une importante frange de sa population – malgré les progrès réalisés depuis une décennie, les inégalités demeurent très importantes.
La coupe du monde permettra-t-elle à l’économie brésilienne de sortir de sa torpeur (la croissance annuelle du produit intérieur brut, supérieure à 4 % entre 2004 et 2008, est depuis retombée aux alentours de 2 %) ? Alors que le gouvernement tablait sur un fort regain de croissance, notamment grâce aux travaux d’infrastructure (y compris la construction et l’amélioration des 12 stades) et aux ventes massives de téléviseurs haute définition, les effets d’entraînement risquent, selon l’agence de risque-crédit Moody’s, d’être modestes.
Selon Fernando Honorato, économiste en chef de Bradesco Asset Management, interrogé par le journal Les Échos [1], si la Copa « va apporter certains bénéfices, notamment en ce qui concerne les aéroports, cela ne va pas révolutionner le pays ». Plus optimiste que son homologue de BNP Paribas, Marcelo Carvahlo, il prévoit qu’elle entraînera un demi-point de croissance supplémentaire en 2014 et 2015. C’est peu. En outre, l’inflation, qui était déjà de 6 % au cours des 12 derniers mois, risque d’augmenter encore, notamment sous l’effet de la hausse des prix dans l’hôtellerie et le commerce, un secteur dont les dirigeants estiment à 11 jours de chiffre d’affaires la perte qui résultera de l’absentéisme des amateurs de football…
N’eût-il pas mieux valu investir dans les logements, l’assainissement, les écoles, les hôpitaux, plutôt que dans l’organisation somptueuse de cette coupe du monde ? L’évaluation que nous livrent Jean-Jacques Gouguet et Jean-François Brocard (p. 5-19) des effets d’entraînement économique et social de diverses grandes manifestations sportives du même ordre (jeux Olympiques, coupes du monde…), ne nous laisse guère d’illusions sur leurs effets bénéfiques à moyen et long termes. Outre le fait que leur coût est très élevé et que ne sont pas prises en compte toutes les externalités, leur impact est plus qu’incertain.
Toutefois, ajoute Pascal Boniface (p. 21-31), du fait de sa médiatisation, le sport est aussi désormais une manière pour un pays (une ville ou une région) d’affirmer sa puissance (soft power).
Existe-t-il d’autres formes d’action dont les effets d’entraînement à long terme seraient mieux assurés ? À cette question répond d’abord Marthe de La Taille-Rivero dans son article sur les grandes manifestations culturelles (p. 33-40), en s’appuyant sur l’expérience de quelques villes ayant reçu le label de « capitale européenne de la culture » qui semble, comme à Lille et Marseille, leur avoir conféré un nouvel élan.
Y répond ensuite le dossier que nous consacrons au futur Grand Paris : d’une part avec un article utilement provocateur de Mario Polèse sur la grandeur et, surtout, l’incompréhensible déclin de la ville-lumière (p. 41-52) ; d’autre part avec le texte de Jean-Claude Prager exposant les conditions d’un renouveau de Paris dans le concert des grandes métropoles, dans une économie-monde au sein de laquelle l’innovation et l’excellence seules peuvent faire la différence (p. 53-67).
Au-delà de ces analyses, une question essentielle est ici posée, dont l’acuité devient plus vive à mesure que nos moyens financiers, notamment les ressources publiques, s’amenuisent : celle de l’évaluation des investissements dont le coût est immédiat et dont les bénéfices réels ne peuvent être estimés que sur la longue durée – celle des années, des décennies, sinon des siècles. Tel est l’objet de l’article d’Émile Quinet (p. 77-88), qui illustre son propos par le cas des transports, en attendant que l’on soit à même de le faire pour la santé, l’éducation, la sauvegarde et la protection de notre écosystème, comme nous l’imposerait le principe du développement durable si souvent invoqué et trop souvent négligé, particulièrement en cette période de « vaches maigres ».
[1] Ogier Thierry, « L’impact économique à moyen terme incertain » in « Un Mondial de football sous haute tension au Brésil », Les Échos, 10 juin 2014.